Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si, dans les déplorables circonstances où nous nous trouvons, vous n’avez pas tenté d’avance, et à coups redoublés, de tirer notre cour du fatal engourdissement où elle est[1]. »

Hélas ! ce n’est pas seulement l’engourdissement qui faisait la faiblesse de l’Europe devant la révolution, c’était l’égoïsme, et, comme le dit M. de La Marck avec un grand sens politique qui est en temps un grand sens moral les mêmes souverains qui se coalisaient pour rétablir la royauté en France, et qui proclamaient des vues de modération et l’engagement de ne pas s’enrichir de conquêtes, s’accordaient pour envahir et partager la Pologne. Il ne fallais, en face de la révolution française, avoir qu’une seule pensée : celle de sauver l’ordre social détruit en France et menacé en Europe. C’était à cette condition seulement que la coalition européenne pouvait réussir. Les puissances européennes eurent deux pensées, un calcul politique et une pensée sociale, un mauvais et un bon intérêt, le démembrement de la Pologne et la conservation de l’ordre, social en France ; Le mauvais intérêt nuisit au bon et fit échouer la coalition : la révolution fut victorieuse ; et si l’ordre social fut rétabli en France, ce fut par l’effort de l’esprit public, lassé enfin de l’anarchie, et non par les armées étrangères. Félicitons-nous de ce dénoûment, puisque c’est notre mérite, et puisque grace à cette marche des événemens, 89 ne tomba pas avec 93, et que la bonne révolution fut sauvée de la ruine de la mauvaise ; mais n’hésitons pas à signaler l’engourdissement et l’égoïsme comme la cause de la faiblesse de l’Europe devant la révolution, L’Europe a élis vaincue, mais elle avait mérité de l’être. La France elle-même, toute cette France qui voulait 89 et qui ne voulait pas 93, qu’est-ce qui faisait sa faiblesse devant 93 ? L’engourdissement et l’égoïsme d’une part, la triste et incurable désunion des partis de l’autre. Voici des paroles, que je trouve dans un mémoire de M. Pellenc du 3 novembre 1793, et que je cite volontiers, parce qu’elles montrent par un exemple significatif les enseignemens et les leçons de toute sorte qu’on trouve à chaque instant dans la correspondance de M. de La Marck : « : La méfiance règne autant à l’intérieur de la France qu’à l’extérieur entre les différens partis. Les aristocrates, les impartiaux, les monarchistes, les constitutionnels, les girondins, se détestent et se décrient mutuellement. Quelque rapprochés qu’ils puissent être entre eux, tous aiment mieux encore la république que de voir triompher leurs rivaux. »


SAINT MARC GIRARDIN.

  1. Tome III, p. 369 et 419.