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pensé celui-ci des courtisans qui se chargeaient de continuer ses leçons?

Le nouveau venu était le Florentin Doni, l’auteur de la Zucca et d’autres satires licencieuses à peu près oubliées, mais qu’un succès de vogue accueillit à leur apparition. Pendant plusieurs années, il parcourut les principales villes de l’Italie, acceptant de toutes mains le prix de ses joyeusetés ou de ses injures, et levant sur la crainte qu’il commençait à inspirer un tribut assez considérable pour faire figure et trancher de l’homme à la mode. Ces heureux débuts le mirent en goût de pousser plus loin l’entreprise. Il résolut de disputer à l’Arétin lui-même le monopole de la faveur des princes, et, pour se débarrasser plus promptement de ce redoutable ennemi, il s’en vint le surprendre à Pesaro et l’attaquer en face avant de lui avoir déclaré la guerre. La brusquerie de l’agression déconcerta d’abord le possesseur de l’emploi convoité. Cependant, comme il ne s’agissait en somme que de retourner ses armes familières contre l’agresseur, il répondit aux premiers pamphlets par une lettre outrageante. La lutte ainsi engagée, on en arriva vite de part et d’autre à laisser de côté les épigrammes pour recourir aux personnalités les plus violentes, à d’incroyables invectives : le tout, selon Doni, « en l’honneur de Dieu et de la sainte église, et pour la défense des bons chrétiens. » L’Arétin, du moins, ne parlait qu’au nom de la philosophie, et, tout en donnant à ce mot une étrange signification, il ne se mêlait pas d’y accoler celui de religion : c’est le seul témoignage qu’il soit permis de rendre en sa faveur. Encore une épitaphe anticipée composée par Francesconi assigne-t-elle à cette retenue un autre motif que le respect[1]; mais Doni ne craignit jamais de placer sous le couvert des principes sacrés les emportemens et les obscénités de sa plume. Sa victoire sur l’Arétin lui tint lieu d’honnêteté personnelle, et l’on ne voulut pas s’apercevoir qu’une fois maître de la place, il imitait exactement, pour s’y maintenir, celui qu’il en avait dépossédé. Il fut imité à son tour : la flatterie devenant une source assurée de fortune, ce fut à qui trouverait les formules les plus pompeuses pour célébrer les vertus et le génie de Guidobaldo. De peur de rien omettre, on trouva plus simple de placer à la suite de ce nom toute la série des qualités humaines, et les sonnets qu’Atanagi, entre autres, a consacrés à la louange du duc d’Urbin ne sont que l’assemblage rimé de tous les mots impliquant une idée de supériorité quelconque. Gardons-nous de confondre avec ces poésies vénales celles que dicta à l’Arioste le souvenir de l’hospitalité qu’il avait reçue à Pesaro, quelques canzoni d’Annibal Caro et l’Amadis de Bernardo

  1. « Ci-gît l’Arétin, poète toscan, qui calomnia tout le monde, à l’exception du Christ. La raison en est simple : il ne le connut pas. »