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fut exilé comme un complice. Ces mesures de sévérité excessive, en rappelant au peuple ce qu’il avait souffert sous la tyrannie de César Borgia et plus récemment sous celle des Médicis, lui apprirent à confondre dans sa haine ses oppresseurs étrangers et le fils de ses souverains. pour la première fois, le nom de Guidobaldo, ce nom que depuis près d’un siècle on était accoutumé à vénérer, fut prononcé avec colère. Comme pour honorer encore la mémoire du prince qui l’avait porté, on cessa de le donner à celui qui ne s’en montrait plus digne, et Guidobaldo II ne fut pour ses sujets que Guidobaldaccio.

Il serait injuste de conserver au nom du cinquième duc d’Urbin cette terminaison méprisante. Guidobaldo II, inférieur sans doute à ses prédécesseurs et même à son fils, ne mérite pas d’être rangé parmi les princes absolument nuls, encore moins parmi les tyrans. S’il apporta en effet à la répression de la révolte d’Urbin quelque chose de plus que de la fermeté, s’il eut le tort, qu’on ne saurait non plus dissimuler, d’épouser en secondes noces Victoire Farnèse, fille de l’homme que l’opinion publique accusait de la mort de François-Marie, il ne donne pas, en dehors de ces deux faits, matière à de graves reproches. Quoiqu’il n’ait paru que rarement sur les champs de bataille, il s’y conduisit de manière à se concilier l’estime des puissances qui l’employaient, et la république de Venise et le pape, dont il commanda tour à tour les armées, reconnurent en plusieurs circonstances l’utilité de ses services. Le duché d’Urbin lui dut l’établissement d’une école d’artillerie et les fortifications de Sinigaglia, qui firent de cette place un boulevard contre l’invasion des Turcs sur les côtes de l’Adriatique. Enfin la libéralité de Guidobaldo envers ses amis, le besoin qu’il eut de s’entourer d’écrivains et d’artistes, attestent que comme protecteur des lettres et des arts il n’aurait pas dégénéré de sa famille, s’il avait mis dans la répartition de ses faveurs autant de discernement que de munificence; on lui sait moins de gré de l’estime qu’il témoigna au Titien et à l’Arioste, lorsqu’on se rappelle ses liaisons avec un peintre comme Zuccaro et un poète comme l’Arétin.

L’auteur de ces écrits fangeux dont on n’ose même pas citer les titres, le pamphlétaire éhonté qui se faisait gloire de ses souillures et qui trafiquait ouvertement de l’éloge ou de la diffamation, occupa en effet auprès de Guidobaldo une position de confiance, et vécut avec lui dans une sorte de familiarité. On trouve dans l’histoire de ce règne plus d’une preuve irrécusable du fait. S’agit-il pour le prince d’aller complimenter Charles-Quint au nom de la seigneurie de Venise. l’Arétin l’accompagne et le conseille. Plus tard, il s’installe au palais de Pesaro et n’en sort que lorsque l’arrivée imprévue d’un rival l’oblige à porter sa plume venimeuse au service de nouveaux patrons. Dans quel abaissement était tombé l’art des Bembo et des Castiglione, et qu’aurait