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de Marsile Ficin, la beauté semble avoir été entièrement oubliée. Les nombreux panégyristes qui louent en lui tant de qualités diverses se taisent sur ce point. Tout en comparant leur héros aux grands hommes de l’antiquité, ils n’ont garde de pousser le parallèle jusqu’à la ressemblance physique, réserve prudente et bien justifiée par les portraits de Frédéric, Celui, entre autres, qu’on voit à la galerie des Offices, à Florence, est fait pour déconcerter quiconque aurait pris dans une acception un peu trop étendue ce surnom de « Périclès, » si souvent donné au duc d’Urbin. Les peintres, il est vrai, avaient soin de ne montrer Frédéric que de profil, et réussissaient ainsi à dissimuler une: des difformités de son visage. Malheureusement, l’accident qui lui avait fait perdre un œil lui avait aussi brisé le nez; quelle que fût la pose choisie, il était au moins difficile d’atténuer à cet égard la laideur de la réalité. Défiguré dès sa jeunesse, dans un tournoi où la lance de son adversaire souleva la visière de son casque et s’enfonça obliquement entre les deux sourcils, Frédéric fit bientôt après une chute de cheval qui acheva de le rendre méconnaissable. Quelques années plus tard, un balcon s’écroulait sous ses pieds, et il devenait boiteux pour le reste de ses jours. Sanzi, qui rapporte ces faits, s’efforce en vain de les ennoblir par l’intervention des songes, des prédictions et des phénomènes sinistres, précurseurs ordinaires de tout grand événement. Comme il ne s’agit pas ici de la mort de César, mais seulement de la perte de l’œil ou de la rupture de la jambe du duc d’Urbin, on ne saurait prendre fort au sérieux les fictions du poète, et l’on est d’autant moins disposé à plaindre la victime de ces accidens vulgaires, qu’on se rappelle qu’elle y survécut de longues années. Le moyen d’ailleurs d’oublier l’aspect si peu épique des portraits de Frédéric, en écoutant les pompeuses lamentations de Sanzi?

Frédéric, en se distinguant des Médicis par un caractère de loyauté qui lui est propre, leur ressemble par leurs meilleurs côtés. A l’imitation de Côme, il réussit à anéantir dans sa patrie une turbulente oligarchie, et fonda sur les ruines de la tyrannie un gouvernement paternel. Beaucoup moins libre que Laurent de donner carrière à ses goûts magnifiques, il protégea de tout son pouvoir les savans et les artistes dont il avait fait ses amis. Il s’efforça, comme lui, de populariser en Italie les chefs-d’œuvre de l’antiquité, les découvertes scientifiques et les progrès de toute sorte. Si le rôle qu’il joue dans l’histoire de la renaissance italienne n’a pas autant d’éclat que celui d’un tel rival, il ne doit pas cependant lui être sacrifié, et ce n’est pas faire injure à la gloire de Laurent de Médicis que de rapprocher de ce grand nom le nom moins illustre du deuxième duc d’Urbin. Frédéric d’ailleurs serait le seul de sa race dont la vie pût autoriser un semblable rapprochement. Son fils, qui se montra digne de lui par la douceur