il avait appliqué à la peinture les principes de la perspective; d’autres attribuent l’honneur de cette découverte au Florentin Paolo Ucello; tous s’accordent du moins à présenter Pietro della Francesca comme le plus habile géomètre qui existât alors. La géométrie et la peinture! voilà deux termes qui semblent s’exclure, de notre temps surtout où nous sommes habitués à voir dans l’exécution d’un tableau l’emploi de facultés d’un ordre unique, et où les peintres eux-mêmes affectent de dédaigner tout ce qui se l’attache à la partie purement linéaire de leurs travaux. Au XVe siècle, les maîtres italiens étaient à la fois plus ambitieux et plus modestes. Ils ne concentraient pas tous leurs efforts sur un seul point de l’art, et cherchaient à augmenter leur gloire en se proposant plus d’un but : voilà pourquoi ils ne jugeaient pas au-dessous d’eux de se livrer à de minutieux calculs, d’opérer avec circonspection, et d’assurer l’œuvre du pinceau par les mesures préalables du compas.
Si cependant les enseignemens de Pietro della Francesca n’avaient eu pour effet que de populariser en Italie la connaissance de la perspective, il serait permis, tout en constatant ce progrès, de lui accorder seulement une importance secondaire. Des peintures qui n’offriraient d’autre mérite que l’exactitude des proportions n’auraient pas droit a une admiration fort grande, et ne sauraient, en tout cas, intéresser long-temps. Celles de Pietro se recommandent par des qualités plus sérieuses, par un style fortement original, savant et naïf à la fois, et par un mélange singulier d’énergie poussée jusqu’à l’âpreté, de correction scrupuleuse jusqu’à la sécheresse. Malheureusement il n’existe que bien peu de morceaux où l’on puisse apprécier la manière de ce maître. Les nombreux ouvrages qu’il avait exécutés à Urbin sont presque tous anéantis, comme ses fresques du Vatican, que Raphaël fit, dit-on, copier par ses élèves et qu’il ne détruisit qu’à regret, et l’on serait à peu près réduit, en ce qui le concerne, aux témoignages des contemporains, si l’on ne trouvait dans l’église Saint-François, à Arezzo, un spécimen achevé de son talent.
Les peintures de Pietro dans cette église ont d’abord cela de remarquable qu’elles représentent, non plus comme au temps de Giotto et de ses élèves, des sujets tirés de l’Évangile, mais de véritables scènes historiques : l’Invention de la sainte Croix, la Vision de Constantin et la Défaite de Maxence. À l’époque où elles furent entreprises, la peinture entrait dans une phase nouvelle, et déjà l’idéal chrétien avait cessé d’inspirer les artistes. Une certaine tendance à l’imitation absolue de la réalité se manifestait dans leurs travaux, tendance regrettable à beaucoup d’égards, où l’on pourrait même, comme cela est assez de mode aujourd’hui en Allemagne, voir le commencement de la décadence italienne, s’il était permis de confondre avec les excès que ce système engendra plus tard les immenses progrès qui en furent la