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« Quel être que cet homme-là ! dit-il dans une de ses lettres en parlant de Mirabeau ; toujours sur le point de s’emporter ou de se décourager, tour à tour imprudent par excès de confiance ou attiédi par méfiance, il est difficile à diriger dans les choses qui exigent de la suite et de la patience.[1]. » Outre ses défauts naturels, Mirabeau avait ses calculs de politique ; qui n’étaient pas un moindre obstacle à la direction de M. de La Marck, et c’est ici surtout que celui-ci se montre clairvoyant « M. de Mirabeau voudrait concilier la volonté apparente de servir avec l’inaction, pousser les autres et se tenir en arrière, avoir le mérite du succès et ne pas mettre sa popularité à de trop fortes épreuves. » Et plus loin : « Sa popularité s’est réellement accrue depuis quelque temps ; cela m’inquiète. Si jamais il désespère du gouvernement et qu’il place sa gloire dans la popularité, il en sera insatiable, et vous savez comme moi ce que c’est que la popularité dans un temps de révolution. – Tout ceci me cause un grand découragement, monsieur le comte. Je suis chaque jour plus dégoûté de ce pays-ci, de ses hommes, de ses lois, de ses mœurs. Le roi est sans la moindre énergie ; M. de Montmorin me disait l’autre jour tristement que, lorsqu’il lui parlait de ses affaires et de sa position, il semblait qu’on lui parlait de choses relatives à l’empereur de la Chine. J’agis à la vérité ici par dévouement pour la reine et par le désir de mériter son approbation ; aussi tout ce que je viens de dire ne sert qu’à faire ressortir la triste destinée de cette malheureuse princesse. Comme femme, elle est attachée à un être inerte, comme reine, elle est assise sur un trône bien chancelant… Je surveille, j’étudie plus que jamais Mirabeau, et je demeure toujours convaincu qu’on pourra compter sur lui tant qu’il ne désespérera pas des Tuileries. Il ne faut pas d’ailleurs se dis simuler que cet homme, par ses talens et son audace, conservera une grande prépondérance dans une révolution exécutée par des hommes dont le caractère se rapproche plus ou moins du sien ; et quoiqu’il soit très difficile sans doute de gouverner avec lui et par lui, il me paraîtrait impossible de gouverner contre lui[2]. »

C’était pour sauver la reine et pour ramener Mirabeau vers la véritable gloire, celle qui conserve les sociétés et non celle qui les détruit, c’était dans cette double vue que M. de La Marck avait établi des relations entre la cour et Mirabeau. Son dévouement pour la reine et son amitié pour Mirabeau s’accordaient admirablement sur ce point. Après la mort de Mirabeau, il continua à essayer de servir la reine par ses conseils et par ses relations dans l’assemblée nationale ; mais on sent dans ses lettres que le découragement le gagné chaque jour. Il avait beaucoup espéré en Mirabeau ; Mirabeau mort ; il voyait les périls devenir

  1. Tome II, p. 286.
  2. Tome III, p. 28, 30 et 46.