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langage jusqu’au sentiment personnel, jusqu’à l’indépendance de la pensée.

D’où venait cette tendance, alors si générale, à l’affectation et au pédantisme? La question mérite bien qu’on y réponde en quelques mots. Au XVe siècle, l’étude des monumens de l’antiquité, que Côme et Laurent de Médicis avaient les premiers remise en honneur et qui devait dans le siècle suivant enfanter des chefs-d’œuvre, n’avait encore inspiré qu’un enthousiasme stérile, qu’une impuissante manie d’imitation. Ce retour vers le passé équivalait pour tout le monde à un progrès définitif, et le but unique semblait être de transporter intacts dans le monde moderne les spéculations et le langage de la philosophie ancienne. À Urbin comme à Florence, comme dans tant d’autres villes qui s’intitulaient, chacune de son côté, l’Athènes de l’Italie, la dévotion à l’antiquité devint bientôt de l’idolâtrie. Les noms d’Aristote et de Platon furent les mots d’ordre qui rallièrent toutes les sectes de logiciens; — les ouvrages grecs ou latins, la loi invariable de la raison et du goût. De là cette ostentation de classicisme qui caractérise les productions de la littérature italienne au XVe siècle, à quelque genre qu’elles appartiennent, morale, histoire ou poésie. De peur de s’écarter des modèles, ou ne fit guère que les copier. Bien plus : on épura, sous prétexte d’atticisme, jusqu’aux écrits des pères de l’église, et, à force de réagir contre les formes, on finit par attaquer implicitement la doctrine. Le paganisme, qui n’avait été d’abord qu’un caprice élégant, une formule de l’érudition, s’infiltra par l’habitude dans le fond même des croyances. Il faussa les mœurs et la foi de l’époque, comme il en avait faussé l’esprit, et un prélat de la cour d’Urbin, l’évêque de Gubbio. écrivant au pape qu’un de ses parens avait à son lit de mort reçu les derniers sacremens, pouvait, sans scandaliser personne, voir dans cet acte de piété chrétienne un moyen d’apaiser les dieux. Riche en commentaires de toute espèce, le XVe siècle fut assez pauvre en œuvres créatrices. Il remplit dans l’histoire des lettres et des arts l’espace qui sépare les deux belles périodes de la renaissance italienne, entre lesquelles il paraîtrait indigne de figurer, si Ion oubliait que, impuissant à continuer le siècle de Dante et de Giotto, il a préparé celui du Tasse et de Raphaël.

C’est cet entraînement de tous les esprits vers l’érudition à outrance et le zèle pédantesque de l’antiquité qu’activèrent singulièrement Frédéric et les savans qu’il avait appelés auprès de lui. Une multitude de traductions dédiées au duc d’Urbin, à l’instigation duquel elles avaient été entreprises, attestent son ardeur à propager le goût des ouvrages classiques. Quelques-unes attestent aussi l’esprit d’adulation des traducteurs, et la dédicace que Marsile Ficin a placée en tête de la République de Platon peut être choisie entre autres comme spécimen du