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l’ordre de l’Hermine, le roi d’Angleterre celui de la Jarretière : il était devenu beaucoup mieux qu’un heureux aventurier. On voyait en lui le plus puissant défenseur du saint-siège, le soutien de tous les droits, l’arbitre de tous les différends, depuis les querelles des princes jusqu’aux contestations des érudits, et il faut ajouter que celles-ci n’étaient pas toujours à ses yeux les moins dignes d’intérêt et d’étude. Renfermé dans sa bibliothèque, il passait parfois une journée entière à méditer sur une question littéraire débattue la veille en sa présence, sur quelque passage d’un auteur ancien diversement interprété ; puis, le soir venu, il rassemblait les savans qui vivaient habituellement à sa cour, donnait son avis qu’on acceptait comme une loi, et, si l’on avait du temps de reste, on soulevait quelque difficulté nouvelle. Lorsque la guerre ne le retenait pas hors de ses états, Frédéric consacrait régulièrement plusieurs heures par jour à ces entretiens, qui bien souvent ne roulaient pas sur des sujets fort graves, et qui dégénéraient même en jeux d’esprit un peu puérils. On se réunissait à l’heure de l’Ave Maria; il fallait qu’à minuit la discussion fût close, car le duc était en toutes choses ami de la règle et de la méthode. Dans les cas jugés importans, lorsqu’il s’agissait, par exemple, de trouver « un remède à l’amour, » ou d’établir la supériorité, aujourd’hui suffisamment évidente, du style de Cicéron sur celui de saint Thomas d’Aquin, on s’exprimait en latin, et chacun des assistans, y compris même la duchesse et ses dames, portait la parole à son tour.

Battista Sforza, seconde femme de Frédéric, était parfaitement capable de prendre part à ces doctes luttes. De bonne heure elle avait fait ses preuves, puisque nous la voyons, âgée de moins de quatre ans, débiter une longue harangue latine à son oncle, le duc de Milan; répondre, quelques années plus tard, aux discours des ambassadeurs envoyés à son père, et entretenir, au nom de celui-ci, une correspondance active avec les savans de toutes les provinces d’Italie. La mort de la duchesse, survenue au bout de treize ans de mariage, affligea profondément Frédéric; mais il ne paraît pas qu’elle ait pu le distraire de ses occupations favorites et modifier, même dans les premiers momens, les habitudes de son esprit. Dans une lettre adressée au secrétaire du duc de Milan, qui lui avait écrit à l’occasion de la mort de Battista, lettre que M. Dennistoun ne cite que comme un témoignage de douleur, le duc d’Urbin trouve moyen, au milieu de l’expression de ses regrets, de rendre hommage au talent épistolaire de l’auteur, et il le félicite en connaisseur sur le « brillant » de son style de condoléance. Frédéric, on le voit, n’était pas exempt du travers à la mode : comme les autres lettrés de son temps, il sacrifiait au culte du beau