Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fra Angelico, et que peut-être il n’aura pu résister à la tentation de nous l’apprendre, quitte à nous dérouter un peu. De là aussi la surprise qu’on éprouve en voyant les estampes qui ornent ces volumes. A côté des portraits de personnages de la cour d’Urbin figurent deux compositions tout-à-fait étrangères à la matière de l’ouvrage, et qui appartiennent à l’école florentine. Je me trompe, l’une de ces compositions attribuées à fra Angelico serait, si la gravure est fidèle, d’une authenticité au moins douteuse : elle a toute l’apparence d’une production de l’école d’Ombrie; il serait donc possible que, malgré la signature qu’elle porte, et contre le vœu de l’auteur des Mémoires, elle fût ici beaucoup moins déplacée qu’il ne semble au premier abord. On aurait mauvaise grâce à pousser plus loin les critiques et à faire ressortir les imperfections d’un livre qui n’a que le tort d’être trop rempli. M. Dennistoun est allé de lui-même au-devant des reproches. En livrant au public le résultat de ses très estimables travaux, il ne prétend fournir que des renseignemens. Il n’a tracé, dit-il, qu’une esquisse (a sketch having no pretensions to a history); mais il lui serait facile de convertir cette esquisse en tableau, et d’ajouter, par le sacrifice de quelques accessoires, au relief et à l’éclat des morceaux essentiels.

Ces réserves une fois faites, il n’y a plus qu’à louer l’exactitude scrupuleuse avec laquelle M. Dennistoun a présenté les événemens et l’esprit de justice qui lui a dicté ses opinions sur les hommes. Il n’exagère pas plus l’importance de ses héros qu’il ne cherche à atténuer les vices de quelques personnages voués à l’infamie. Exempt de cette manie de réhabilitation qui, de notre temps, a inspiré plus d’un écrit coupable où le crime est expliqué par les nécessités politiques et absous eu quelque sorte en considération de son énormité même, il ne rajeunit pas par des louanges paradoxales les figures vieillies sous les stigmates de l’histoire. César Borgia n’est à ses yeux rien de plus qu’un franc scélérat, et les faits prouvent assez qu’en jugeant ainsi le fils d’Alexandre VI, on ne court pas le risque de méconnaître un grand homme. La lâcheté de Laurent II de Médicis, l’immoralité de l’Arétin, la félonie du connétable de Bourbon, sont flétries comme elles méritent de l’être. En un mot, l’historien des ducs d’Urbin montre le bien et le mal là où ils se trouvent, et où, tout compte fait, la postérité a eu raison de les voir. Il n’écrit pas pour contredire l’opinion, il écrit surtout pour achever de l’instruire, et ce rôle de simple narrateur semble aujourd’hui si peu recherché, qu’il y a lieu de féliciter M. Dennistoun d’y avoir borné son ambition.


I. — DUCS DE LA MAISON DE MONTEFELTRO.

Le duché d’Urbin, formé d’une partie de l’ancienne Ombrie, comprenait à peu près le territoire qui s’étend de la mer Adriatique à la