ces petits drames; mais sur cette trame légère se détachent mille traits d’observation déliée ou de poésie, d’ingénieuse ironie ou d’attendrissement, fixés dans un style élégant, rapide et mesuré. Un des côtés de ces Scènes que je voudrais signaler comme une originalité, c’est que l’auteur ne cherche point l’intérêt là où le cherchent beaucoup d’écrivains dans ces sortes de peintures. L’esprit, chez M. Feuillet, — et n’est-ce point une nouveauté? — se met du côté de ces choses vulgaires qu’on nomme la morale, l’honnêteté dans la vie, et se fait gaiement leur auxiliaire. Sans pruderie inutile et sans crainte des situations scabreuses, l’auteur des Scènes et Proverbes entreprend de nous montrer comment une femme légitime peut l’emporter en beauté, en esprit et en attraits pour un homme sur une maîtresse, comme dans le Pour et le Contre; il met toutes les bonnes grâces de sa muse à faire franchir les pas périlleux aux femmes en proie au vague de certaines heures, comme dans la Crise; il ôte toute poésie à la dégradation et à la débauche, pour la rendre à la régénération morale d’un Jeune homme épuré au contact de sa jeune épouse, comme dans la Clé d’Or. il faut bien l’avouer à la confusion de nos romans et de nos drames, l’intérêt est du côté de ces victoires spirituellement gagnées. Heureux symptômes, s’ils étaient l’indice d’une de ces réactions qui se déclarent parfois dans le sentiment général en faveur des choses honnêtes et des inspirations littéraires plus pures!
Au fond, d’ailleurs, est-il bien vrai que le public résiste si fort aux séductions et aux appels d’une littérature saine, qu’ils se révèlent sous une forme légère ou sous une forme de l’art plus imposante? C’est peut-être, au contraire, une justice à rendre au public en général, que s’il se laisse aller aux plus malfaisantes provocations de la pensée, il suffit souvent de lui présenter une image frappante et juste de la vérité pour le subjuguer de nouveau. Une des preuves les plus manifestes peut-être de cette disposition du public favorable aux moindres symptômes d’un retour à la vérité dans l’art, c’est la fortune littéraire de M. Ponsard, qui publie en ce moment son Théâtre. Ce sera certainement un des plus curieux problèmes à étudier que l’insuccès de cette réaction si bruyamment inaugurée il y a quelques années et rattachée au nom heureux de l’auteur de Lucrèce. Que lui a-t-il manqué pour réussir? Ce n’est point le public; n’est-ce point plutôt le poète, lui-même? Lucrèce, au moment de son apparition, pouvait être l’occasion imprévue et ardemment accueillie d’une sorte de réveil subit du goût général; mais M. Ponsard n’était point une de ces natures poétiques faites pour résumer avec puissance un éclatant retour de sentimens et d’idées, pour être l’ame vibrante et généreuse d’un mouvement littéraire. Entre le public et le poète il y avait comme une rencontre de hasard et factice. On peut aujourd’hui mesurer la portée réelle de l’auteur de Lucrèce par ces quelques œuvres dramatiques qu’il réunit. Dans leur ensemble, ces œuvres diverses de M. Ponsard, au milieu de qualités graves et de mérites estimables, signalent évidemment un déclin, ou plutôt l’auteur de Lucrèce est toujours le même, parce qu’il est dans la nature de son talent tempéré et laborieux de s’élever peu et de ne point s’abaisser trop, de n’être point sujet, en un mot, aux inégalités d’une inspiration vive et hardie. Ce qui est changé, c’est nous-mêmes, c’est le public, déçu de ne point rencontrer en M. Ponsard le poète d’une juste et féconde réaction morale et littéraire dont il avait salué l’idéal au milieu des ovations de Lucrèce. Il en est résulté une impression de