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déshérence, hélas ! au souffle de la révolution de février : M. de Lamartine affiche l’ambition singulière de le ramasser et de le tenir à son tour. Il n’a point quitté la plume du publiciste, qu’il s’arme de celle de l’historien et vient ajouter une Histoire de la Restauration à ses autres œuvres historiques ; la plume de l’historien elle-même lui échappe à peine, qu’il continue par le Tailleur de pierres de Saint-Point la série de ses récits romanesques, ou plutôt toutes ces œuvres, sans compter les commentaires de sa propre poésie, les candidatures latentes et les discours, il les conduit à la fois avec cette facilité prodigue qui le distingue, au risque de mêler les teintes et les couleurs et de perdre le fil conducteur dans ce labyrinthe d’une nouvelle espèce. Pour mieux dire, en menant ainsi de front la politique, l’histoire et le roman, M. de Lamartine a entrepris en même temps les trois choses les plus impossibles à son génie ; et le secret de ces impossibilités, c’est que si nul n’a plus d’abondance de veine, plus de fertilité d’images, nul aussi n’a moins le sens des choses réelles, c’est-à-dire la première des qualités quand on veut mettre la main aux affaires positives, raconter l’histoire d’un peuple, ou écrire cette autre histoire des passions et des mœurs qu’on nomme un roman. L’instinct de la réalité chez M. de Lamartine se perd en éblouissemens ; l’esprit de conduite dans la vie active, d’observation dans la vie morale, se résume à ses yeux dans une figure heureuse, dans un accent d’éloquence souvent factice, encore même lorsqu’elle coule le plus naturellement. Les événemens ne se représentent point à lui comme l’enchaînement pressé et invincible du drame humain, mais comme un ensemble qui concorde avec ses propres évolutions, ou comme une vaste trame où son imagination se joue. Les caractères qu’il retrace s’empreignent perpétuellement des traits d’un idéal flottant et mobile qu’il porte en lui ; la sympathie pour les malheurs publics s’apaise et s’éteint dans le sentiment d’un rôle personnel à justifier ou à préparer.

Ce n’est point que les pages chaque jour jetées au vent par M. de Lamartine, ce n’est pas que ses histoires spécialement ne contiennent bien des élémens de succès. Elles exercent un certain genre de fascination qui peut se résumer en un mot : elles se font lire. Oui, sans doute, il en est ainsi de ces premiers volumes de l’Histoire de la Restauration. Seulement, à quoi est due cette espèce de séduction à laquelle on cède ? Elle tient justement peut-être à ce que l’histoire telle que l’entend M. de Lamartine est aussi peu que possible de l’histoire ; elle n’en a ni la rigueur, ni les recherches, ni la précision substantielle. En choisissant une époque, M. de Lamartine compose et improvise sur cette époque plus encore qu’il ne la raconte et ne la fait connaître. L’histoire s’échappe à chaque instant, entre ses mains, en épisodes merveilleux, qui ressemblent à des tableaux de genre ; le cours du récit se plie à toutes les sinuosités de l’inspiration et à tous les caprices du pinceau ; une sorte de lumière phosphorescente flotte sur les hommes et sur les scènes où ils agissent. C’est la contre-partie idéale, artificielle et lumineuse de la réalité ; — espèce de fantasmagorie où les personnages se succèdent, depuis M. Pozzo di Borgo transformé en Alcibiade jusqu’à Marie-Louise transformée en fille poétique du Tyrol, au regard plein de rêves, à l’ame pleine d’horizons mystérieux, victime de la brutalité de Napoléon dans ses entrainemens de cœur, et victime encore dans