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avait, au milieu de traits beaucoup plus modernes et certainement moins nationaux, un peu de cette vieille sapience qui n’a jamais gâté chez nous la popularité des princes.

Nous avons indiqué dans tous leurs momens ces phases intéressantes de la situation présidentielle ; nous nous sommes associés tantôt aux espérances et tantôt aux appréhensions qui naissaient de telle ou telle conduite. Nous avons constamment voulu plutôt espérer qu’appréhender, et nous avons cru plus au bien qu’au mal. Quel que fût cependant l’optimisme avec lequel on accueillait généralement le rôle de la présidence, il y a toujours eu deux endroits par où elle n’a pas cessé d’inquiéter ceux qui ne se soucient point de courir les aventures politiques, pas plus eu grand qu’en petit. On s’est blessé plus d’une fois, dans les hautes régions du pouvoir exécutif, de la réserve trop discrète qui accompagnait les adhésions les plus utiles. On aurait même été jusqu’à penser, s’il fallait en croire des indiscrétions trop brutales pour avoir quelque chose d’authentique, on aurait pensé que les fonctionnaires ne se dévouaient point assez au pouvoir qui les nomme ; les fonctionnaires ne seraient plus désormais, dans ce langage dont on fait un emploi si regrettable, que « des athées politiques qui ne se dévouent qu’à leurs traitemens. » Quant à la réserve des hommes les plus considérables, on l’explique, sans distinction de personnes, avec une courtoisie aussi extraordinaire. Ce sont d’enragés amateurs de portefeuilles, « qui seraient ministres de Belzébut, si Belzébut en donnait. » Si les traitemens ou les portefeuilles avaient cependant cette vertu d’attraction qu’on leur prête avec la magnanimité de gens incapables de l’éprouver eux-mêmes, pourquoi donc ceux qui les détiennent seraient-ils précisément ceux dont on gourmande la froideur et le détachement ? pourquoi s’aviseraient-ils de les demander à de futurs dispensateurs plutôt que de les garder en se livrant à qui les leur a distribués ? Et ce n’est pas seulement au sujet du pays officiel que se présente cette question singulière, c’est à propos des gouvernés aussi bien que des gouvernans. Pourquoi la nation, qui doit certainement une reconnaissance très fondée au prince Louis Bonaparte, ne s’y est-elle pas encore abandonnée davantage ? C’est que les hommes politiques, les fonctionnaires, la nation elle-même, étaient peut-être sous le coup de cette double inquiétude dont nous parlions tout à l’heure, et que nous allons expliquer, car les événemens menacent de la justifier trop.

Non, la nation n’est point ingrate, mais elle entend savoir ce qu’on ferait de sa reconnaissance ; non, les fonctionnaires ne sont point des athées, mais ils entendent savoir le dieu qu’on leur donnerait à servir ; les hommes d’état enfin courront tant que vous voudrez après les portefeuilles, mais ils ne s’exposeront point de gaieté de cœur à se découvrir un beau matin sous le bras les portefeuilles de l’impossible. Tel est l’objet multiple de deux grandes inquiétudes qui n’ont jamais tout-à-fait disparu. On s’inquiète de cette foi singulière dont on aperçoit la sourde et continuelle influence dans la personne principale qui siège au pouvoir ; — on s’inquiète de l’infatuation croissante des personnes secondaires dans l’entourage. Voilà les deux périls dont la menace toujours imminente a frappé les yeux attentifs au milieu même des instans les plus calmes, et prévenu, chez quiconque réfléchissait, l’expansion d’une confiance plus entière. M. le président de la république mettrait volontiers dans sa vie plus de roman