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Canova. Il a fait ce qu’il a pu, mais il reste, et de beaucoup, l’obligé et le débiteur de son pays. La critique s’est, depuis quelques années, largement indemnisée des éloges outrés qu’elle lui a prodigués autrefois; mais M. Geefs n’a pas de plus cruel ennemi que lui-même, et les bas-reliefs du monument de la Révolution à Bruxelles sont à son talent une mortelle et irréparable injure. Le bas-relief, qui est en sculpture la pierre de touche du talent, parce que le concours des plus hautes facultés de l’artiste y est nécessaire, est rarement essayé par les sculpteurs belges. Ceux qui le tentent y échouent. M. Jaquet a fait pour la façade du théâtre des Nouveautés un bas-relief où manquent à la fois le goût, l’ordonnance et la proportion. Excepté MM. Simonis et Tuerlinckx, qui savent tailler le marbre comme il convient, toute l’école de sculpture belge exagère le fini et le délicat. Elle est précieuse, maniérée, toute de détails, achevant ses statues plus que ne fait Pradier ses statuettes, si bien qu’elle n’en fait guère qui, malgré la différence des proportions, ne rappelle au spectateur quelque modèle de pendule. Cet art mesquin, coquet, mignard, plein de prétention et d’afféterie, surprend d’autant plus qu’on ne voit pas d’où il procède. La Belgique a eu autrefois une école de sculpture renommée. Cette école, formée par les artistes italiens dont les chefs-d’œuvre ont. au temps de la renaissance, enrichi les églises et les palais, a vu briller les Duquesnoy, les Delcourt, les Fayd’Herbe et les Verbruggen. Elle a fini avec le XVIIIe siècle : Godecharles fut le dernier de tous, laissant Kessels en continuer jusqu’à nos jours la tradition affaiblie; mais, après Kessels, la chaîne est rompue, et l’art qu’on voit s’élever ensuite, vers 1830, est un art tout nouveau. D’où vient-il ? On ne saurait le dire. Peut-être procède-t-il de Canova; mais alors il est presque la satire du maître italien, tant il est matérialiste sans être naturel, impossible sans être idéal, recherché sans être gracieux, curieux de la forme et inintelligent de la vraie beauté.

Nommer MM. Jehotte, Jaquet, les deux Geefs, Fraikin (nous classons à part et fort au-dessus M. Simonis), c’est nommer les seuls représentans notables de l’école actuelle de sculpture. Leurs élèves sont nombreux. Dans le nombre, et si l’on examine ce qu’ils ont exposé, on en trouve qui ont du mérite et de l’avenir; mais, s’ils n’étudient pas d’autres modèles que leurs maîtres, ils avorteront pour la plupart. On les voudrait trouver plus différens les uns des autres, voire franchement mauvais avec quelque vigueur et quelque originalité; car ils se ressemblent si bien par les qualités et par les défauts, qu’en voir un c’est les connaître tous.

M. Tuerlinckx a été à Rome; c’est là qu’il s’est formé. On ne peut dire que M. Tuerlinckx soit un talent hors ligne; on est pourtant heureux, lorsqu’on a parcouru les salles de l’exposition et vu les œuvres