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sur tout autre impression ; ils personnifient l’avenir, déjà ils conspirent, et corps et ame ils vont appartenir au Taciturne.

Telle est la donnée de l’œuvre et la pensée du peintre. La réalisation en est très belle. Cependant, et après le premier mouvement d’admiration, beaucoup s’interrogent, et se sentent indifférens. Pourquoi ? Est-ce que la perfection du travail matériel, le soin minutieux des détails, en distrayant l’attention, nuisent à l’ensemble, affaiblissent l’unité esthétique et amoindrissent la conception morale de l’œuvre ? Est-ce peut-être que l’histoire, mieux connue, ait dépouillé d’Egmont d’un prestige menteur, et que, le héros tombé, la disproportion apparaisse entre les moyens et le but de l’artiste ? D’Egmont en effet ne fut point un grand homme. Grand capitaine et brave soldat, il servit l’Espagne avec gloire ; mais, faible et irrésolu dans ses projets, préoccupé d’intérêts vulgaires, il ne mérite pas que l’art l’immortalise. Sa mort seule a été utile à son pays ; encore l’a-t-elle moins servi qu’elle n’a favorisé le génie du Taciturne et la grandeur des Nassau. Quelle que soit pourtant la valeur des objections que soulève le tableau de M. Gallait au point de vue de l’art comme au point de vue de la vérité historique, cette œuvre n’en est pas moins la plus remarquable de celles que l’école belge a exposées cette année. Deux autres tableaux de M. Gallait s’offrent encore aux regards : l’un est un portrait, l’autre une fantaisie. Ce dernier a pour titre : Art et liberté. Le sujet est un musicien bohème, drapé de haillons, coiffé d’un large feutre déformé, et qui tient à la main un violon. Quelques connaisseurs préfèrent cette toile au grand tableau de M. Gallait, et l’art profond de cette peinture, le caractère poétique de l’étrange personnage qu’elle représente, la mâle simplicité de la composition, justifient peut-être cette préférence.

La distance qui sépare M. Gallait des autres peintres d’histoire de l’école belge est grande. Le premier en réputation après lui, c’est M. de Keyzer. Quatre tableaux de genres divers le rappellent à ses anciens admirateurs. Ces tableaux sont : Sainte Elisabeth de Hongrie distribuant des aumônes, la Résurrection de la fille de Jaïre, les Glaneuses et le Portrait des enfans du comte Gortschakoff’. Ni la première ni la seconde de ces compositions ne sont dignes de l’artiste qui débuta, il y a dix ou douze ans, et avec un si grand succès, par la Bataille des Eperons d’or. Il n’y a plus là d’inspiration ni de verve, et c’est dans les détails de l’œuvre, dans le travail matériel seulement, qu’on peut ressaisir la trace d’un talent trop tôt énervé. Les Glaneuses, qui sont deux femmes vues à mi-corps, couchées sur des gerbes de blé, ont de la grâce, de la fraîcheur et de l’éclat. Peut-être M. de Keyzer retrouverait-il dans le genre gracieux et élégant, vers lequel le portent la mol-