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de l’école d’Anvers et de l’école de Bruxelles qu’il importe de bien établir avant d’entrer au palais de l’exposition belge. Ce contraste résume toute la situation de l’art en Belgique, car à Gand l’école de peinture est médiocre, et à Liège elle n’existe que de nom. L’art, en Belgique, tend à la centralisation. En dépit de l’esprit provincial, Bruxelles devient une capitale sérieuse ; les artistes de mérite s’y fixent en foule, et le sentiment du beau gagnant de proche en proche, se communiquant par initiation, les expositions devenant universelles et la comparaison avec l’école française et l’école allemande épurant le goût et agrandissant l’horizon, il n’est pas douteux que l’école belge, si riche déjà en belles qualités d’exécution, n’arrive à tenir bientôt une grande place dans le domaine de l’art.

Quand on entre au salon de Bruxelles et qu’on suit la foule en faisant le tour de la statue du prince Charles de Lorraine, dont la tête se perd dans les combles, on arrive tout droit à la grande salle, vis-à-vis du tableau de M. Gallait, qui est la première chose qu’on va voir. M. Gallait a donné pour légende à son tableau : Derniers honneurs rendus aux comtes d’Egmont et de Horn par le grand Serment de Bruxelles. Les corps des suppliciés sont là, sur une civière, cachés par un drap de velours noir ; leurs têtes ensanglantées et livides sont exposées près des cadavres ; le calme d’une mort héroïque y est empreint, et pourtant telle est la vérité d’une représentation trop fidèle, qu’elles font plutôt horreur que pitié. Derrière le funèbre brancard, un soldat espagnol est debout, bardé de fer. Sa figure martiale et grave, presque noble, contraste avec la tête intelligente et fine, mais rusée et méchante, d’un espion du duc d’Albe qui observe et qui médite. Ce qu’il observe, c’est la diversité des impressions produites par la vue des deux victimes sur les membres du grand Serment de Bruxelles, qui viennent rendre les derniers devoirs à ceux qui furent à leurs yeux l’honneur et l’espérance du pays. L’impression de l’horrible spectacle varie selon l’âge et le rang des spectateurs. Le président des arbalétriers, qu’une flèche qu’il tient à la main fait reconnaître, est plongé dans un désespoir morne, sans larmes et sans consolation ; il songe au passé, aux journées de Saint-Quentin et de Gravelines, à tant de gloire évanouie, à l’étendue de la perte et aux malheurs de la patrie. Derrière lui est un bourgeois à tête grise : la douleur la plus vraie, la plus attendrissante, éclate sur son visage ; il ne cache pas les larmes qui coulent sur ses joues ; tout à l’horreur de ce spectacle, c’est le présent qui le touche et le fait pleurer. Vivans, il les a vus, ces fils de la cité, et fiers et glorieux : il les retrouve inanimés, et ce contraste de la vie et de la mort cause seul sa douleur et ses larmes ; mais près de lui sont les figures d’hommes jeunes et énergiques : chez ceux-là, le ressentiment, la haine, l’espoir de la vengeance, l’emportent