Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le chef tint un conseil de guerre, et la retraite fut décidée; le lendemain, dès la première aube, l’armée quittera la ville.

Il n’avait pas eu de peine jadis à entrer par ruse, le rusé Cortez; mais le retour sur la terre ferme offrait des difficultés terribles.

Mexico, la ville insulaire, est située au milieu d’un lac immense, entourée partout de flots mugissans ; c’est une fière forteresse de vagues,

Ne correspondant avec le bord que par les navires, par des radeaux, par des ponts assis sur des pilotis gigantesques; des îlots forment des gués.

Avant le lever du soleil, les Espagnols se mirent en marche; point de roulement de tambour, point de trompette pour sonner le réveil.

Ils ne voulaient pas priver leurs hôtes des douceurs du sommeil (cent mille Indiens campaient dans Mexico).

Mais cette fois les Espagnols comptaient sans leurs hôtes; les Mexicains s’étaient levés encore plus matin qu’eux.

Sur les ponts, sur les pilotis, sur les îlots, ils attendaient le moment de leur faire boire le coup de l’étrier.

Sur les ponts, sur les pilotis, sur les îlots, ah! quelle folle bacchanale! rouge et par flots coulait le sang, et les hardis buveurs luttaient,

Luttaient serrés corps à corps, et sur maintes poitrines nues des Indiens on voyait empreintes les arabesques des cuirasses espagnoles.

C’était un étranglement, un égorgement, une boucherie qui s’étendait de plus en plus avec lenteur, avec une effroyable lenteur, sur les ponts, sur les pilotis, sur les îlots.

Les Indiens chantaient, rugissaient; les Espagnols tuaient en silence; ils avaient à conquérir pas à pas le chemin de leur fuite.

Dans cette lutte sur d’étroits espaces, inutiles étaient la science et l’art militaire de la vieille Europe, inutiles les bouches à feu, les armures et les chevaux.

Et puis nombre d’Espagnols étaient lourdement chargés de cet or qu’ils avaient récemment extorqué et pillé. — Ah! le poids jaune de leur crime

Les entravait, les estropiait dans le combat, et le diabolique métal ne perdait pas seulement leur pauvre ame, mais leur corps.

Cependant le lac était tout couvert de barques et de canots; des archers y étaient assis, tirant sur les ponts, sur les pilotis, sur les îlots.

Dans la bagarre, sans doute, ils durent frapper plus d’un frère; mais ils frappaient aussi maint digne et excellent hidalgo.

Sur le troisième pont tomba le jeune gentilhomme Gaston, qui portait la bannière ou était figurée la sainte Vierge.

Cette image elle-même, les coups des Indiens la déchirèrent. Six flèches lui restèrent juste au cœur, six flèches étincelantes,