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soucieux. Il fait appeler au pied des marches du trône le plus savant des astrologues.

« Compère des étoiles, lui dit-il d’une voix impérieuse, je te fais couper la tête si tu ne peux me dire ce qui manque à mon éléphant, et pourquoi son ame est si triste, »

Celui-ci se jette trois fois à terre et dit enfin d’un air pénétré : O roi ! je te révélerai la vérité. Tu agiras ensuite selon ton bon plaisir.

Il y a dans le nord une belle femme à la haute taille et au corps blanc. Ton éléphant est superbe, cela est incontestable; mais on ne saurait le comparer à elle.

Comparé à elle, il semble n’être qu’une petite souris blanche. La statue de cette femme rappelle Bimha, la géante du Ramayana, et la grande Diane d’Éphèse.

Comme ses membres s’arrondissent en un édifice splendide! L’édifice est supporté gracieusement et fièrement par deux pilastres d’albâtre d’une blancheur éblouissante.

C’est la basilique colossale du dieu Amour, la cathédrale du fils de Vénus. La lampe qui brûle joyeusement dans le tabernacle, c’est un cœur sans fausseté et sans tache.

Les poètes vont vainement à la chasse des métaphores pour décrire sa blanche peau. Gautier lui-même n’en est pas capable. Cette blancheur est « implacable. »

La neige des sommets de l’Hymalaya foulée par ses pieds nus prendrait l’aspect d’une cendre grisâtre. Les lys que saisit sa main jaunissent d’envie ou par contraste.

Cette grande dame blanche s’appelle la comtesse Bianca. Elle demeure à Paris, dans le pays des Francs, et c’est d’elle que l’éléphant est amoureux.

Par une merveilleuse affinité élective, il a fait sa connaissance en rêve; oui, c’est à la faveur d’un rêve que s’est glissé dans son cœur ce grandiose idéal.

Depuis cette heure, le désir le consume. Lui, naguère si joyeux et si bien portant, il est devenu un Werther quadrupède, et il rêve à une Charlotte septentrionale.

Mystérieuse sympathie! Il ne l’a jamais vue, et il songe à elle. Souvent il trépigne au clair de lune, et pense en soupirant : « Ah! si j’étais un petit oiseau! »

A Siam il n’y a que son corps; sa pensée est auprès de Bianca, dans le pays des Francs. Or, cette séparation de l’ame et du corps affaiblit beaucoup l’estomac et dessèche le gosier.

Les rôtis les plus friands lui répugnent; il n’aime plus que les nouilles renflées et Ossian, Il tousse déjà, il maigrit; le désir creuse sa tombe avant l’âge.