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ROMANCERO


POÉSIES INEDITES.




A une époque où tant de poêles s’éteignent avant l’âge de la virilité, où tant de causes diverses appauvrissent la sève de l’esprit et font succéder aux promesses du printemps les ruines d’un hiver précoce, ce n’est pas un vulgaire spectacle de voir une imagination vaillante lutter victorieusement contre les plus cruelles influences qui puissent enchaîner l’essor de l’ame. Il y a un an, un écrivain grave et austère, un commentateur très compétent de la philosophie ancienne, l’auteur des Aristotelica que tous les érudits estiment, un savant homme enfin qui a aujourd’hui abandonné la science du passé pour la critique du présent. M, Adolphe Stahr, est venu séjourner en France quelques semaines. Comme tous les Allemands, il a écrit ses deux volumes sur Paris (Zwei monate in Paris), deux volumes assez faibles, qui ne valent assurément ni les Aristotelica, ni le Voyage en Italie, ni la Dramaturgie d’Oldenbourg du même auteur, mais qui contiennent un très curieux chapitre intitulé : Aristophane mourant, Der sterbende Aristophanes. Cet Aristophane, c’est M. Henri Heine. Voilà plus de trois ans en effet que l’auteur d’Atta-Troll est sur son lit de douleur, frappé d’une paralysie qui ne laisse plus entrer dans ses yeux qu’un dernier rayon de lumière. Ces mots, Aristophane mourant, un ami a pu les imprimer sans aucune indiscrétion maladroite; M. Henri Heine lui-même parle sans cesse de sa prochaine mort; il voit s’avancer l’hôtesse fatale, il la raille et la défie gaiement. Si l’homme de Pascal méprise l’univers qui l’écrase, il se garde bien de railler dans ce solennel et formidable passage d’une vie à l’autre; celui que l’humour emporte sur ses ailes semble habiter déjà je ne sais quelle région inconnue, du haut de laquelle il prend en pitié et ne saurait voir sans éclater de rire toutes les misères et tous les contre-sens d’ici-bas. L’humoriste est un mystique à sa manière, c’est-à-dire un homme qui s’élève au-dessus de la réalité et qui la transfigure par sa gaieté hardie, comme le mystique par l’extase. — « O mon collègue, Merlin l’enchanteur, s’écrie le poète, me voilà semblable à toi, lorsque, dans la forêt de Brocéliande, tu voyais s’approcher ton heure dernière ; mais combien je te porte envie! C’était sous de beaux arbres, au sein de la