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Il est permis d’en douter, car si la concurrence, en France même, n’est pris avantageuse à l’intérêt maritime, pouvons-nous espérer qu’elle nous serait ailleurs plus favorable ?

Nous nous trouvons précisément dans une situation analogue à celle de l’Angleterre, alors que cette nation, après avoir créé à grands frais son matériel naval, continuait de sacrifier à l’intérêt maritime, prédominant pour elle, les intérêts de l’industrie et du commerce. Elle avait posé les fondemens de sa puissance maritime; mais elle craignait de compromettre l’achèvement de l’œuvre, et elle n’osait encore exposer son pavillon à tous les vents de la concurrence. Elle maintenait donc les restrictions, les prohibitions, pour ne les abandonner que le jour où elle se sentirait maîtresse. De même, en France, nous avons prodigué les dépenses, multiplié les sacrifices pour remettre à flot notre marine, presque entièrement engloutie sous les orages de la révolution et sous la gloire de l’empire; nous avons vu, depuis 1815, l’activité renaître dans nos chantiers; notre pavillon a repris un rang honorable dans la navigation des mers d’Europe; il a reparu dans les mers de l’Amérique et des Indes. Néanmoins le moment est-il venu où nous pourrions sans danger suivre l’exemple de l’Angleterre, et substituer à l’ancien code maritime une législation nouvelle qui proclamerait le libre échange presque absolu? Et si ce moment n’est pas encore venu, sommes-nous en mesure d’attendre, pour réformer notre loi, que la marine française puisse complètement se passer de tutelle?

Le libre échange maritime ne causera aucun préjudice aux nations qui, en raison de leur situation naturelle et de l’ensemble de leur législation économique, naviguent à peu de frais et supporteraient facilement l’abaissement des prix de transport. Il sera également accueilli par les peuples qui ne sauraient aspirer à se créer dès à présent une marine marchande, et dont le rôle politique n’exige pas l’entretien d’une flotte de guerre; car il favorisera leur industrie et leur commerce sans affaiblir un élément de force ou de richesse qui n’existe pas chez ces peuples, ou qui n’y occupe qu’un rang tout-à-fait secondaire. — La France n’appartient ni à l’une ni à l’autre de ces deux catégories. Il importe essentiellement à ses destinées politiques, à son influence légitime, qu’elle maintienne sa puissance navale; assise sur deux mers, maîtresse de six cents lieues de côtes, elle ne saurait abdiquer sa part d’océan; il lui faut à tout prix une marine. En même temps, il paraît notoire que la navigation française est plus coûteuse que celle de la plupart des autres pays. Nous sommes obligés de prendre au dehors les matériaux de construction et par conséquent de les payer plus cher; les denrées d’encombrement nous manquent presque complètement : tandis que l’Angleterre avec les houilles, les pays du Nord avec les bois et les fers, les États-Unis avec le coton, se