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encore plus difficile que les circonstances. Il avait d’avance expliqué et excusé les contradictions apparentes qu’on trouverait dans sa conduite. Il ne faudra jamais juger ma conduite, avait-il dit dès sa première lettre au roi, partiellement ni sur un fait ni sur un discours. Ce n’est pas que je refuse d’en expliquer aucun ; mais on ne peut juger que sur l’ensemble et influer que par l’ensemble. Il est impossible de sauver l’état jour à jour[1]. » Il s’était donc mis en règle pour les contradictions ; mais vraiment il abusait de la permission qu’il avait prise. J’excuse les contradictions préméditées et qui sont l’effet d’une tactique ; mais que de contradictions qui ne sont que l’effet de ses colères, de ses dépits, de ses caprices ! Ce sont celles-la que je blâme, parce qu’elles dérangeaient le plan même qu’il traçait aux autres et qu’il ne suivait pas lui-même. Mirabeau abonde en explications ingénieuses auprès de M. de La Marck pour excuser ses fougueuses inconséquences ; mais il ne persuade pas son ami. Persuadera-t-il mieux le lecteur ? J’en doute fort. Ainsi, quand il parle pour la constitution civile du clergé et pour le serment imposé aux ecclésiastiques, il prétend qu’il ne faut pas faire attention aux discours plus ou moins vigoureux qu’il pourra prononcer, « parce que, dit-il, ce n’est qu’en se tenant dans une certaine gamme que l’on peut, au milieu de cette tumultueuse assemblée, se donner le droit d’être raisonnable.[2]. » Oui, mais tout dépend de la gamme, et il y a des gammes avec lesquelles il est impossible d’être raisonnable. C’est ce qui arriva à Mirabeau dans cette occasion, il avait cru faire merveille en parlant violemment et en concluant modérément ; le discours tua la conclusion, et voici ce qu’en écrivait avec beaucoup de sens M. de La Marck à M. de Mercy-Argenteau : M. de Mirabeau a pris, dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, un des plus mauvais partis, il a proposé un décret assez modéré qu’il a fait précéder d’un discours très violent, et il a ainsi mécontenté presque tout le monde ; il a surtout déplu aux Tuileries ; où on se fatigue de son incurable manie de courir après la popularité[3]. »

J’ai cité cet exemple des contradictions de Mirabeau, parce qu’il montre clairement, si je ne me trompe, le malentendu perpétuel et inévitable qu’il y a dans la conduite de Mirabeau avec la cour et de la cour avec Mirabeau. La cour n’y met guère, je le dis franchement, de délicatesse, et comme elle a acheté Mirabeau, elle voudrait qu’il lui appartînt, sans comprendre que Mirabeau dépopularisé et avili ne vaudrait plus rien pour elle-même, et que ce serait un embarras plutôt qu’un appui. À quoi servirait-il à la cour d’avoir un contre-révolutionnaire de plus, même quand ce contre-révolutionnaire serait Mirabeau ?

  1. Tome II, p. 13.
  2. Idem, p. 361.
  3. Idem, p. 397.