voiles réglementaires et remplissant les conditions ordinaires pour les courses de ce genre. Or l’America était engagée. Le jour désiré se leva enfin. Qu’on se figure la plus belle matinée du monde, la mer d’un bleu de saphir, ridée seulement par une jolie petite brise de sud-ouest, et sillonnée en tous sens par une multitude d’élégans yachts qui ne devaient pas disputer la coupe, mais se proposaient de suivre la course, et s’amusaient en attendant à tirer des bordées de droite et de gauche de la façon la plus gracieuse. Ils s’inclinaient et se balançaient sur la mer comme on voit des patineurs se pencher sur la glace qu’ils effleurent en voltigeant. L’intérêt qui s’attachait à l’épreuve était immense; la plage était couverte de curieux; les yachts, leurs couleurs déployées et placés sur deux lignes dès la veille au soir, n’attendaient que le premier coup de canon pour se préparer, car au deuxième coup, tiré cinq minutes après, il fallait appareiller, et lestement.
De mémoire d’homme, on n’avait vu une pareille émotion à Cowes, où l’on ne trouvait plus un lit depuis huit jours; on avait signalé en rade jusqu’à cent yachts, car nombre de nobles chasseurs avaient quitté les moors et les lochs d’Ecosse, quoique les grouses y soient superbes cette année, pour assister à la fameuse course. Les plus fashionables ladies étaient venues de leurs châteaux pour passer le temps des régates dans l’île, le balcon du club était couvert d’une foule aristocratique, et, pour rendre l’événement plus solennel encore, on voyait la reine et la famille royale croiser à distance dans le Fairy.
Jusqu’à cet instant, les marins anglais avaient considéré les paroles du Rule Britannia comme un article de foi; or voilà qu’un navire traversant l’Atlantique venait défier les chefs-d’œuvre des White, des Camper et des Ratsey. qui ne connaissaient pas encore d’égaux, et qui allaient se voir battre par une goélette américaine! N’était-ce point là une petite humiliation nationale? La justice m’oblige cependant à déclarer que je n’ai constaté que de la curiosité et de l’intérêt dans les paroles de ces braves Anglais attentifs à étudier les faits et gestes du Yankee; il était impossible d’y démêler la moindre amertume. Il y a du bon goût suivant moi, il y a même de la grandeur dans cette manière de prendre les choses.
Des dix-huit yachts engagés aux dernières régates de Cowes, quinze seulement ont concouru. L’escadrille était composée de huit schooners ou goélettes et de sept cutters, et telle était la différence de tonnage, que l’on comptait dans le nombre un navire de 303 tonneaux, Brilliant, à M. Acker, et un petit cutter de 42 tonneaux, Aurora, à M. Lemarchand.
Malgré la haute réputation de l’America, les marins anglais n’abandonnaient pas tout espoir. « Si le vent est léger, disait-on sur le rivage, vous verrez louvoyer Volante! — J’aime encore mieux Alarm, s’écriait