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de son yacht en fer, Titania, lorsqu’il a couru dernièrement contre la goélette America. Ces bâtimens vont dans la Méditerranée, en Égypte, au cap de Bonne-Espérance, même en Australie; ils sont fins voiliers, manœuvres par des marins de choix; leur coque, leur gréement, tout est neuf et dans le meilleur état; maître et équipage sont parfaitement logés et pourvus de toutes les choses nécessaires. Quant au comfort des chambres habitées par le gentleman propriétaire du yacht, et souvent par sa famille, rien n’en peut donner l’idée. Dans d’aussi excellentes conditions, ces navires, qui n’ont jamais d’ailleurs un très fort tirant d’eau, sont plus sûrs que des bâtimens de guerre qu’écrase et fait plonger le poids de leur artillerie. Quant aux bâtimens du commerce, c’est à peine si j’ose en parler; on sait que les armateurs et les négocians font en sorte de ne rien donner au luxe : aussi tout y est-il calculé pour l’économie, ils ont bien juste le nombre d’hommes nécessaires, souvent leur voilure est rapiécée, et, il faut le dire, plus d’un vieux trois-mâts navigue encore, quoique ses flancs soient disjoints, ses mâts pourris, et sa dernière heure depuis long-temps sonnée.

Les plus grands bâtimens ne sont pas toujours indispensables pour les plus grandes traversées; le navire que montait Christophe Colomb, lorsqu’il découvrit l’Amérique, était une goélette de 100 tonneaux. Plusieurs yachts accompagnent en ce moment l’expédition qui, sous les ordres du capitaine Penny, est chargée de rechercher les navires du capitaine Franklin dans les mers polaires. L’un de ces yachts est monté par un gentleman porteur d’un nom illustre dans la navigation des régions arctiques, sir J. Ross : c’est le schooner Félix de 110 tonneaux. Je ne sais pas à qui appartiennent les deux autres bâtimens, Advance et Rescue; mais on lit dans le dernier rapport fait à l’amirauté que le charpentier de l’un de ces petits navires a rendu les plus grands services dans des conjonctures difficiles. Bien des gens s’étonneront peut-être que la passion des aventures et des dangers puisse entraîner ainsi de jeunes hommes, possesseurs de magnifiques revenus, à braver les périls, les privations et souvent le scorbut, ces accompagnemens inévitables d’un hivernage au milieu des glaces par 77 degrés de latitude; pour moi, j’estime au contraire qu’ils font un noble emploi de leur temps et de leur fortune en prenant part à cette généreuse expédition, qui, si elle n’a pas pour résultat, comme on peut le craindre, de ramener les malheureux équipages de l’Erèbe et de la Terror, élargit de plus en plus cependant le domaine des sciences naturelles et de la géographie, en jetant de nouvelles lumières sur les contrées arctiques, si intéressantes à étudier[1]. Sans insister même sur l’intérêt que

  1. Jusqu’ici la dernière expédition a découvert huit cent quarante-cinq milles de côtes nouvelles, tant dans la partie sud que dans la partie nord de la baie de Melville; des navires américains coopèrent aux recherches que dirige le capitaine Penny; aucun bâtiment français ne s’y est encore joint. Je m’étonne de l’indifférence de notre gouvernement dans cette occasion, car l’exploration des régions polaires, soit en raison des expériences magnétiques qui s’y rattachent, soit même dans l’intérêt de la pêche de la baleine, importe autant à la France qu’à tout autre pays.