Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

constamment amicales avec les puissances étrangères, dans la juste confiance qu’une paix si précieuse n’est point achetée par des sacrifices incompatibles avec l’honneur de la nation et la dignité de votre couronne. » L’opposition de droite voulait faire entendre que le ministère, dans sa politique extérieure, avait donné des gages aux libéraux du dehors et du dedans. L’opposition de gauche, pensant que la phrase pouvait se comprendre en ce sens que le ministère était plus favorable aux rois qu’aux peuples étrangers, commit la grave imprudence de soutenir les partisans du privilège et de les aider à renverser un ministère mixte pour en élever un autre où ils allaient s’étaler en maîtres. Le ministère de M. de Villèle fut constitué.

Sans perdre de temps, le nouveau cabinet apporta une loi contre la liberté de la presse. M. Royer-Collard, qui avait autrefois donné les journaux au gouvernement, parce qu’il le regardait comme protecteur des intérêts nouveaux de la France, et qui avait dit avec raison qu’il s’agissait uniquement de savoir si le gouvernement du roi servait la nation ou s’il servait un parti, et que dans cette question étaient cachées toutes les autres; — M. Royer-Collard voyait maintenant le gouvernement passé dans les mains d’un parti ennemi de l’égalité : il ne pouvait donc lui sacrifier la liberté de la presse. Il dit que, dans l’état actuel de la société, la liberté de la presse avait la vertu d’une institution, que la publicité était une sorte de résistance aux pouvoirs établis, parce qu’elle dénonçait leurs écarts et leurs erreurs, et qu’elle était capable de faire triompher contre eux la vérité et la justice. « Nous avons vu, poursuivit-il, la vieille société périr et avec elle une foule d’institutions domestiques et de magistratures indépendantes qu’elle portait dans son sein, faisceaux puissans de droits privés, vraies républiques dans la monarchie... De la société en poussière est sortie la centralisation : il ne faut pas chercher ailleurs son origine. La démocratie chez nous, est-il dit dans l’exposé des motifs du projet de loi, est partout pleine de sève et d’énergie; elle est dans l’industrie, dans la propriété, dans les lois, dans les souvenirs, dans les hommes, dans les choses. Le torrent coule à pleins bords dans de faibles digues, qui le contiennent à peine. A mon tour, je conviens que la démocratie coule à pleins bords dans la France, telle que les siècles et les événemens l’ont faite. Il est vrai que dès long-temps l’industrie et la propriété ne cessant de féconder, d’accroître, d’élever les classes moyennes, elles se sont si fort approchées des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus de leur tête, il leur faudrait beaucoup descendre. La richesse a amené le loisir, le loisir a donné les lumières, l’indépendance a fait naître le patriotisme. Les classes moyennes ont abordé les affaires publiques; elles ne se sentent coupables ni de curiosité, ni de hardiesse d’esprit pour s’en occuper ; elles savent que ce sont leurs affaires. Voilà