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connaissance nécessaire; on admire cette pénétration qui entre dans les difficultés les plus délicates, cette finesse d’analyse qui se montre surtout dans l’examen de la notion du temps et des moyens que nous avons de mesurer la durée, et l’on regrette pour la philosophie qu’un esprit aussi délié et aussi ferme n’y ait pas consacré sa vie. Doué d’autant de perspicacité que Reid, avec plus de force de généralisation, il aurait aussi bien aperçu les différences des phénomènes, et il en aurait mieux découvert les ressemblances. En profitant des analyses du philosophe écossais, il leur aurait donné l’ensemble qui leur manque : il aurait ramassé de sa main puissante tous ces excellens matériaux, et en aurait construit un solide et imposant édifice.

Lorsque M. Royer-Collard avait paru à la Faculté des lettres, la philosophie y jetait déjà un vif éclat; c’était celle de la fin du XVIIIe siècle, mais améliorée par les réformes d’un philosophe plus clairvoyant, M. Laromiguière. Ce professeur joignait à la finesse de l’esprit le charme d’une parole facile, claire, élégante et relevée encore par l’accent méridional. Il attirait dans les sombres murs du collège Du Plessis, où se tenait alors la Faculté des lettres, une foule brillante et mondaine. Les jeunes disciples de l’École normale, auxquels on n’avait point enseigné de philosophie dans les lycées, étaient charmés de cette nouveauté, que les grâces du maître rendaient encore plus séduisante. C’est au milieu de ce succès populaire qu’apparut la grave et sévère figure de M. Royer-Collard. Au lieu d’une abondante improvisation, une lecture un peu traînante: au lieu de ces brillantes clartés répandues sur des sujets faciles, des profondeurs obscures qui descendent jusqu’aux plus difficiles questions; au lieu d’une parole ample et développée, un style concis et resserré; une forme nouvelle et une doctrine plus nouvelle encore : l’auditoire s’étonne; l’École normale, peu préparée à l’intelligence des problèmes épineux de la philosophie, écoute sans comprendre, mais elle est retenue par l’austère beauté du langage. Dans l’intérieur de ses murs, elle se divise par groupes, et lit curieusement les exemplaires du discours d’ouverture que le professeur a fait distribuer. Elle admire cette concision expressive, cette propriété savante, cette couleur sobre et juste. Le mérite évident de la forme couvre et fait accepter peu à peu les aspérités du fond. C’est la beauté littéraire qui introduit dans l’École normale la philosophie nouvelle, qui fait prendre le temps de reconnaître et d’apprécier la solidité de la doctrine. Cette philosophie, une fois introduite, y prend racine, s’y étend, s’y développe, et y fleurit encore aujourd’hui.

M. Royer-Collard portait un vif amour à la philosophie. Il regretta souvent de l’avoir quittée. « J’ai été enlevé trop tôt, disait-il, à l’enseignement philosophique, non pas pour la philosophie, qui n’avait pas besoin de moi, mais pour moi-même. J’y apercevais des problèmes qui