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les données de la raison pure. On est étonné de l’attention que prête à tous ces problèmes de métaphysique ce futur homme d’état, et de la profondeur à laquelle il s’est enfoncé dans un sujet auquel il s’est appliqué si peu de temps. Ce n’est point ici le lieu de donner une analyse étendue de la philosophie de M. Royer-Collard; il nous suffira d’en indiquer les traits principaux. On s’imagine d’ordinaire que si la sensation ne fournit pas toutes les connaissances de l’esprit humain, elle fait au moins connaître les objets sensibles. M. Royer-Collard s’attacha à faire comprendre que la manière dont on définit la sensation, non-seulement dans l’école de Descartes, mais même dans celle de Locke et de Condillac, la rend incapable de produire aucune connaissance, même celle des corps, et qu’après avoir attaqué la philosophie du XVIIIe siècle comme matérialiste dans sa morale, il fallait l’attaquer comme idéaliste dans sa métaphysique, de sorte qu’elle était coupable de cette contradiction, de ne pas nous faire saisir le corps dans le développement de la connaissance, et de ne nous offrir que le corps comme règle et but de nos actions. Il montra qu’au lieu de placer au début de la connaissance une sensation vague, qui n’est qu’un phénomène interne de l’ame, sans objet extérieur, il fallait établir un principe de perception qui nous fait saisir directement l’existence du corps sans hésitation et sans raisonnement, et qui agit comme loi primitive de notre esprit. Après avoir relevé l’existence des corps de l’incertitude où l’avait laissé tomber l’école de Condillac, et avoir constaté la faculté qui les connaît, il fit voir que la connaissance humaine ne se renferme pas dans cette enceinte. En effet, les corps sont saisis à l’aide des sens, nous en apercevons les phénomènes actuels; mais notre esprit, dépassant l’expérience, affirme que ces phénomènes se reproduisent dans tous les temps et dans tous les lieux, quoique nos sens n’embrassent qu’une étroite partie de l’espace et de la durée. Il faut donc placer à côté de la perception qui saisit les corps dans leur état actuel une faculté qui prévoit leur état futur, qui s’élève du particulier au général, et que M. Royer-Collard appelle, avec Reid, la faculté d’induction. D’un autre côté, si les corps sont perceptibles aux sens, ils sont dans un espace qui ne tombe ni sous les yeux ni sous les mains, qui non-seulement contient les corps actuels, mais contiendrait tous les corps que notre esprit peut imaginer, et qui par conséquent est sans limite. Voilà une seconde connaissance qui dépasse la portée des sens extérieurs. Le sens intime ou la conscience sera à son tour dépassé : cette faculté à l’aide de la mémoire nous fait saisir notre propre durée, et par elle la durée des phénomènes extérieurs qui sont en rapport avec nous; mais, de même que les corps sont dans un espace qui les embrasse et qui ne s’enferme pas dans leurs limites, de même notre durée est comprise dans un temps qui la précède et qui la suit, qui