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indifférence que, sous ce rapport, la Hollande témoigne à Java. Ces efforts honorables ne donneront point seulement à l’armée des Indes de meilleurs et de plus fidèles soldats; ils serviront à justifier la métropole du reproche qui lui fut si souvent adressé par l’Angleterre de n’avoir eu en vue dans ses établissemens coloniaux que les intérêts d’une exploitation égoïste.

Pendant le cours de notre longue campagne, il devait nous être donné de retrouver dans l’île de Célèbes et dans l’île de Java la domination néerlandaise; mais ces ports hospitaliers des Moluques où nous avait accueillis une si gracieuse bienveillance, nous nous apprêtions à leur dire un éternel adieu. Tandis que, montés sur de gracieux poneys de Macassar et de Sandalwood, ou assis sous le toit de bambou d’un koro-koro malais, nous visitions les sites enchantés de Ternate, de livides éclairs commençaient à sillonner le ciel et nous annonçaient l’approche de la mousson. Le premier souffle orageux qui descendit des sommets de Gillolo nous trouva prêts à mettre sous voiles. Le 12 décembre, nous sortions de la rade au moment où le soleil touchait de son disque de feu le bord d’azur de l’océan. L’époque des calmes était passée. La mousson régulièrement établie roulait au-dessus de nos têtes les gros nuages floconneux des tropiques, et nous environnait de chaudes vapeurs qui se condensaient quelquefois en torrens de pluie. Trois jours après notre départ, nous avions doublé les îles de Gillolo et de Morty; la corvette se balançait sur les longues lames de l’Océan Pacifique. Il ne nous restait plus qu’à nous élever suffisamment dans l’est pour pouvoir, à l’aide des grandes brises de nord-est qui nous étaient promises, atteindre la chaîne des îles Bashis et cingler vent arrière vers les côtes du Céleste Empire.

Il existe dans le voisinage de l’équateur, entre l’espace livré aux vents alizés de l’hémisphère septentrional et les parages où règnent les vents généraux de l’autre hémisphère, une sorte de terrain neutre qu’occupent des brises variables et de fréquens orages. C’est sur la limite de cette zone que nous dûmes louvoyer pour nous soustraire aux courans qui auraient retardé notre marche. Pendant quinze jours, le soleil ne perça qu’à de rares intervalles les lourdes nuées aux épais contours et aux masses bleuâtres qui pesaient de toutes parts sur l’horizon. Le 21 décembre, nous pûmes remonter vers le nord et diriger notre route entre les îles Pelew et les Carolines. La Bayonnaise s’inclina de nouveau sous ces fortes brises qu’elle ne connaissait plus depuis deux mois, et bientôt les sommets des Bashis se montrèrent devant nous. Nous touchions au terme de notre long voyage. Quarante-huit heures après être entrée dans la mer de Chine, le 4 janvier 1848, la Bayonnaise laissait tomber l’ancre sur la rade de Macao.


JURIEN DE LA GRAVIERE.