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gouvernement hollandais a fixé le prix auquel doit lui être livré le girofle cultivé par les naturels de l’île; mais il ne s’empare pas de la récolte entière. Quand l’approvisionnement de ses magasins est assuré, il autorise les indigènes à vendre aux négocians hollandais ou malais, seuls admis à commercer avec les Moluques, les épices dont il n’a point lui-même réclamé la livraison; il se contente de prélever sur ces échanges un droit de 6 ou 12 pour 100.

Les heureux habitans d’Amboine ne connaissent point d’autre industrie que la culture et la préparation du girofle. Ils naissent et meurent au milieu des parfums. Un giroflier planté le jour de leur naissance grandit avec eux et répand sur leurs dépouilles mortelles l’arôme de ses fleurs. Il est deux arbres que l’idolâtrie n’eût point manqué de consacrer aux dieux tutélaires des Moluques : le giroflier et le sagoutier. Si les gracieuses fictions de la Grèce eussent été importées par quelque marchand phénicien jusque dans la Malaisie, Minerve aurait sans doute déposé à Amboine la branche d’olivier classique pour cueillir un de ces rameaux de giroflier tout diaprés de fleurs roses ou chargés de jaunes embryons; Cérès eût, à son tour, arraché les blonds épis qui couronnent sa tête pour se faire un nouveau diadème d’une palme de sagoutier. Le sagoutier remplace pour les habitans d’Amboine le riz de Java et le manioc du Brésil. Notre journée n’eût donc point été complète, si nous n’eussions vu abattre un de ces palmiers, ouvrir ce large tronc tout rempli d’une fécule ligneuse et retirer, à l’aide d’une petite erminette de bambou, cette fécule que l’on verse dans un sac tissu de pétioles de cocotier : on agite ensuite ce sac dans un courant d’eau pour séparer rapidement des parties fibreuses le gluten nourricier, et on recueille ainsi, en moins d’une heure, près de deux cents kilogrammes de farine.

C’est par de pareils épisodes que chacune de nos journées se trouvait remplie; mais le moment de quitter Amboine était arrivé. Nous avions renouvelé notre provision d’eau et nos vivres. Les symptômes de scorbut qui s’étaient manifestés à bord de la corvette depuis notre départ du cap de Bonne-Espérance avaient complètement disparu. Malgré les attentions dont on nous comblait, malgré les sollicitations employées pour nous retenir, nous demeurâmes inébranlables, et le jour de notre départ fut fixé au 15 novembre. Il fallait d’ailleurs se hâter de fuir ces séduisans rivages avant qu’ils devinssent pestilentiels. Le temps n’est plus où le chef-lieu des Moluques était réputé pour la salubrité de son climat. A l’époque où Batavia méritait d’être appelée le tombeau des Européens, Amboine offrait aux employés de la compagnie ses asiles enchantés et son climat réparateur. C’est le séjour d’Amboine aujourd’hui que l’on redoute. Des tremblemens de terre successifs, en bouleversant le sol de cette île, ont livré passage aux