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tyrannique pour le plaisir de l’être. L’histoire nous apprend aussi pourquoi l’autorité, cette puissance si détestée, si injuriée de nos jours, est nécessaire, et pourquoi elle se trouve toujours dans de certaines mesures opposée à l’individu. L’histoire de cette force individuelle, c’est l’histoire des révolutions du monde. Tout homme doué d’une force propre, doué de génie, d’éloquence, ambitieux ou désintéressé, il importe peu, apporte avec lui un principe de révolution. Mais pourquoi, dira-t-on, cette tyrannie imposée par l’autorité au génie? Est-ce que vous ne voyez pas que cette initiative laissée à elle-même et sans contrepoids détruirait le monde de fond en comble, de même que l’autorité sans la liberté le pétrifierait et l’hébéterait? D’ailleurs, cet obstacle est excellent, car l’individu, allant dans ses projets toujours au-delà de son époque, précipiterait ses concitoyens dans des révolutions inattendues. L’autorité, loin de nuire aux changemens opérés par les individus, les améliore en les contenant dans la mesure du possible et en les empêchant d’aller au-delà des besoins de l’époque. Voilà ce que l’histoire nous enseigne avec une grande candeur et une pleine sincérité.

Tels sont et tels doivent être les rapports du gouvernement et de l’individu ; mais aujourd’hui il n’en est pas ainsi. L’individu ne veut plus porter la responsabilité de ses actes, il demande à exercer sa liberté, sans que cette liberté reçoive sa sanction; il recule devant la punition qui peut lui être infligée et ne recule pas devant le mal qu’il peut faire. Il se considère comme la seule puissance existante. Instruit à l’école des révolutions, il s’irrite de ne pouvoir à son gré faire le bien et le mal, il appelle tyrannie et oppression ce qui n’est que nécessité et loi fatale. Plein de contradictions dans son jugement sur l’autorité, étranger à l’esprit qui l’anime, oublieux des conditions de sa nature, il lui demande à la fois d’avoir une volonté et de n’en pas avoir; il ne sait pas que le devoir de l’autorité est de n’avoir de volonté que contre lui. Tantôt il réclame du gouvernement de prendre une initiative, comme si le gouvernement était une personne et un individu; tantôt il lui demande de n’en pas avoir, surtout lorsqu’il est frappé. Rien n’est plus curieux à cet égard que les réclamations de nos journaux et de nos docteurs. Si le gouvernement, obéissant à sa mission, qui est purement et simplement de conserver le dépôt des traditions, ne satisfait pas à leurs exigences, il est accusé d’immobilisme. On lui reproche de ne rien faire, de ne pas agir. Il ne veut rien faire : c’est beaucoup avec ce mot que le gouvernement de juillet a été renversé. Mais que l’état s’avise d’écouler «es conseils, qu’il essaie d’avoir une volonté et une initiative, qu’il s’efforce, ce qui d’ailleurs n’est pas sa tâche, de réformer ou d’inventer, d’introduire des changemens dans l’industrie, ou le commerce, ou l’enseignement, aussitôt les mêmes voix qui l’admonestaient si vertement vont le charger d’injures et l’accuser d’accaparement, de