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extérieur à l’homme, indépendant de sa conscience, poursuivant par la seule force de l’impulsion matérielle sa course triomphante, et qu’elle a fini par dominer la société au point qu’on dirait en vérité que ce n’est point la révolution qui a été faite pour la société, mais bien la société pour la révolution.

Pour résumer d’un mot le malaise social, nous dirons que ce malaise ne résulte ni des institutions (elles sont en petit nombre et placées en dehors du contact des individus), ni des lois, ni de l’industrie, mais qu’il résulte du faux point de départ de la révolution, lequel peut se définir ainsi : procéder à la réforme de la société avant de procéder à la réforme de l’individu. L’individu a été émancipé; mais cette émancipation a été stérile, car on n’a pas donné à l’homme l’esprit de liberté, on ne lui a donné que l’esprit de révolte. On lui a dit : Renverse ces barrières, et tu seras libre. — Les barrières ont été renversées, et l’individu s’est trouvé seul et sans appui, sans autre enseignement que celui de la révolte, sans avoir appris d’autre usage de sa liberté que celui de la destruction. Il s’est trouvé, dis-je, animé de cet esprit en face d’autres individus qui, tous, avaient appris à faire de leur liberté le même usage. Mis ainsi en face les uns des autres, ils ont continué à appliquer l’enseignement qu’ils avaient reçu; mais, comme il n’y avait plus rien à détruire, ils ont tourné contre eux leurs armes, et ainsi, grâce aux leçons qu’ils avaient apprises, ils ont fait de leur liberté l’instrument de leur propre destruction : ils se sont déchirés; rien n’était plus naturel et plus logique. Ils ont démoli mutuellement et comme à l’envi tous les remparts et tous les abris qu’ils élevaient mutuellement aussi pour se défendre contre leurs fureurs réciproques, et maintenant, grâce à ces destructions successives et continues, nous nous trouvons dans l’état qu’Hegel appelle admirablement l’état atomistique, sans moyens de défense et sans sécurité. Grâce à notre longue habitude de destruction et de combat, tout ce qui est capable de nous assurer paix et repos fait le tourment de notre voisin, qui sent bien que tout moyen de sécurité pour autrui est en même temps un moyen de défense à l’abri duquel il pourra être attaqué à son tour, s’il ne trouve pas manière de le miner et de le démolir. Regardez bien au fond des lois, des institutions de toute nature, des doctrines de tous les partis, monarchiques, aristocratiques, démocratiques, socialistes : vous n’y verrez qu’une société s’armant pour le combat, qu’un arsenal de guerre. Lois préventives et lois répressives, clubs et lois sur les clubs, presse et lois contre la presse, enseignement de l’état et enseignement de l’église, pouvoir exécutif et pouvoir législatif. — partout vous trouverez des forces opposées, désirant non s’unir, mais se détruire et se dominer.

L’homme aujourd’hui n’a plus de relations véritables avec l’homme; tous les rapports, non-seulement de l’homme avec son semblable, mais