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en ce sens qu’ils attribuent tout le mal à la société, aux institutions. N’importe, ils ont eu l’audace de poser un point d’interrogation; en conscience pouvions-nous attendre d’eux qu’ils iraient plus loin? Nous leur sommes reconnaissans, car ils ont fait une question de ce qu’on nous donnait comme la certitude absolue. Ces deux livres, grâce à l’esprit qui les anime, nous offrent l’occasion de sonder les profondeurs de l’abîme et de mesurer les progrès du mal; mais ils ne peuvent nous servir de guides ni de critérium pour reconnaître le mal là où il est, car ils sont le produit d’intelligences égarées, puisqu’ils nous enseignent que c’est dans la société moderne et non pas ailleurs qu’est la source de la crise actuelle. Nous qui croyons, au contraire, que la société est entièrement innocente, qui l’amnistions et l’aimons, qui ne faisons pas retomber sur des choses passives et qui dérivent de notre volonté les écarts et les erreurs de cette même volonté, nous chercherons à démontrer que nous ne devons accuser du mauvais état de la société que nous-mêmes, et, munis de ce critérium, nous montrerons que les explications du malaise social et les moyens d’en sortir proposés par les socialistes sont incomplets, faux et timides sous une apparence de témérité, agressifs envers les institutions, pleins d’indulgence pour les passions des hommes, attaquant ce qui n’a aucune responsabilité, pactisant avec le désordre véritable, injuriant ce qui peut, selon la volonté et la direction des facultés humaines, être l’ordre ou le désordre, — c’est-à-dire la société.

Notre temps n’a point sa cause en lui-même, et, lorsqu’on veut apprécier et déterminer le caractère des faits qui se produisent, il faut remonter à la révolution française. Or ce grand fait, malgré tout ce qu’on a écrit et tout ce qu’on se dispose encore à écrire sur lui, n’a jamais été apprécié qu’au point de vue des intérêts du moment, comme pour faire suite aux événemens de la veille et déterminer, s’il était possible, ceux du lendemain. L’esprit du XVIIIe siècle était encore trop présent et trop puissant parmi nous, il n’était pas assez un fait historique, un sujet passif, pour que l’analyse put s’exercer sur lui et le décrire. En un mot, nous commençons à peine à avoir un esprit assez différent de l’esprit du XVIIIe siècle pour pouvoir le comprendre et le juger, car l’homme ne peut bien juger des choses que lorsqu’elles ne sont plus lui et qu’elles lui sont extérieures. Qui ne voit par exemple que les histoires de MM. Thiers et Mignet sont écrites trop exclusivement au point de vue de l’opposition de 1826 et de 1827 et des doctrines constitutionnelles? Ils nous ont donné de la révolution une idée exclusivement libérale; mais les faits qui échappaient à leur théorie, dans l’embarras où ils se sentaient de les classer, de les admettre et de les excuser, ils les ont rejetés sur le compte de la fatalité. Les deux auteurs ont répudié certains faits, nous ne songeons pas à les blâmer : leur explication de la révolution est une explication pleine