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maritime fit déserter les longues routes de terre. Ces routes de terre seraient maintenant abrégées jusqu’au miracle par la vapeur et les railways. Pour gagner Calcutta par le cap de Bonne-Espérance, il fallait, avant 1840, cent jours de navigation. Depuis 1840, on a successivement retranché de ce trajet le circuit de la France et de l’Espagne en courant par terre de Calais à Marseille, le circuit de l’Afrique en entrant dans la mer Rouge par l’isthme de Suez. On voudrait maintenant continuer le système de ces retranchemens qui rapprochent si fort les distances, et renoncer tout-à-fait aux passages de mer, qui emploient la majeure partie du voyage. On essaierait de cheminer, comme avant le XVIe siècle, par Cologne, Augsbourg et Constantinople. On irait d’Ostende à Trieste, et non plus de Calais à Marseille; de Trieste à Constantinople par Orsova, et non plus de Marseille à Suez; de Constantinople à Bassorah par la vallée de l’Oronte et par celle de l’Euphrate; enfin de Bassorah jusqu’à Hyderabad, où viendraient se rattacher à la grande voie qui aurait ainsi traversé la Perse et le Beloutchistan les autres voies ferrées de Bombay, de Lahore et de Calcutta. On aurait supprimé le circuit de la péninsule arabique, comme celui de l’Afrique et celui de l’Espagne. On réduirait par là progressivement cet énorme trajet de trente-neuf jours, qu’il emporte maintenant, à vingt jours, puis de vingt à sept, ce que nous n’acceptons pas comme parole d’évangile. Ce qu’il y a néanmoins de certain, c’est que les têtes de ligne ont été entreprises depuis quatre ans déjà dans les Indes Orientales, et qu’elles seraient toutes prêtes à rejoindre les voies de l’Occident; c’est que ce projet colossal aboutit en somme à construire 5,000 milles de rails, un chiffre qui, comme on l’a vu, n’a guère effrayé les Américains, et sur lequel d’ailleurs 2,600 sont déjà en cours d’exécution; c’est qu’enfin pour tous les pays que cette ligne féconde devrait parcourir, il y aurait un recommencement certain de vie politique et commerciale.

Quelle que soit la réserve avec laquelle il convient d’aborder ces perspectives extraordinaires, on ne peut affirmer qu’elles ne soient pas réalisables, quand il y a tant de circonstances qui prêtent à leur succès. L’Autriche, par exemple, qui a toujours représenté la race allemande en Orient, qui a vers ces régions d’anciennes tendances, qui dispute avec peine aux influences russes cette position à laquelle on ne sait pas assez combien elle tient, l’Autriche aurait tout à gagner au rétablissement de la grande route centrale du commerce de l’ancien monde. Un écrivain ami de l’Autriche énumérait dernièrement les bonnes raisons qui pouvaient décider l’Allemagne à recevoir dans son sein l’empire des Habsbourg. Une des meilleures était, à son avis, que l’Autriche, une fois incorporée dans la confédération, dégageait l’Allemagne du blocus dont la Russie l’enveloppe à l’est, et rendait comme autrefois à l’industrie des états germaniques du midi les vastes débouchés asiatiques. Et de fait, on a vu le gouvernement autrichien, grâce à la direction si active et si intelligente du dernier ministre du commerce, M. de Brück, organiser dans tout l’Orient un système très bien entendu d’agences consulaires; des marchandises ont même été depuis peu directement envoyées de Vienne jusqu’en Perse.

Il est une puissance à qui de pareils mouvemens doivent toujours donner de l’ombrage, et dont la grandeur ne s’accommode pas de ces grandeurs rivales. On ne peut suivre avec beaucoup d’exactitude la marche des accroissemens