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distance. C’est une instruction sommaire écrite en français par des Allemands et adressée aux frères et amis, aux nouveaux ligueurs, pour leur servir de guide «avant, pendant et après la révolution. » C’est un manuel positif de la démagogie militante, du quatrième état, comme s’exprime le publiciste souterrain dans son jargon germanique et social. Tout l’objet de la conspiration permanente qui se trame d’un bout à l’autre de l’Europe n’est ni plus ni moins que d’accomplir « la mission de ce quatrième état, » l’état des prolétaires qui doit enfin avoir son tour par-dessus le clergé, la noblesse et la bourgeoisie, pour concentrer en lui seul et le pouvoir et le capital. Voilà du moins qui est parler net, mais voici qui est encore parler à l’allemande et remonter dans les nuages. Les démagogues allemands sont toujours comme les brigands de Schiller : ils ne veulent rien prendre au prochain que par amour du sublime et pour la plus grande gloire de l’esthétique. Vous ne devinez pas pourquoi le quatrième état est si préoccupé de cette concentration du capital et du pouvoir? Ce n’est pas au moins pour en goûter à l’aise, fi de cette misère! c’est « pour hâter les développemens historiques de la question économique et les porter à une conclusion de principes! » Admirable philosophie du littérat! vigoureuse habitude de la science transcendante, qui persiste ainsi dans sa candeur originelle, non pas seulement au fond des abattoirs de l’Australie, comme nous le racontions il y a quelque temps, mais en un milieu plus difficile encore, parmi les Welches frondeurs et narquois, parmi les enfans turbulens de cette vieille Gaule à jamais incapable du divin sérieux dont Heine nous a fourni le modèle dans son ours Atta-Troll! Ces trop sérieux Teutons arrivent pourtant à se former aux mœurs pratiques dans le commerce de nos émeutiers vulgaires; ils ne demanderaient pas mieux que de leur enseigner leurs formules; en attendant, ils leur empruntent leurs procédés. Nous retrouvons dans le manuel anarchique du 1er août un souvenir très fidèle des pièces éloquentes qui furent découvertes chez M. Sobrier après la journée du 15 mai 1848. La tradition se conserve. Il s’agit encore « de préparer la liste des ennemis du peuple pour les livrer à la justice du peuple, — de former partout des tribunaux révolutionnaires, — d’acquérir par expropriation les ateliers, fabriques et terres nécessaires pour donner à chaque citoyen qui le demande du travail et un salaire suffisant, » — d’avoir enfin une force ouvrière, ce qui s’appelle en langue allemande « garder la force physique aux mains du quatrième état. » On sait le reste : comment le reste, après cela, n’irait-il pas tout seul? Le reste est tout pareil en allemand et en français; on s’entend là-dessus sans causer.

Quelque chose encore de pareil dans la conduite des conspirateurs ainsi accouplés de France et d’Allemagne, c’est l’usage incorrigible de la mendicité politique. Il y a toutefois cette différence, que la mendicité allemande en use plus sans façon et s’affiche plus naïvement qu’on n’ose encore se le permettre chez nous, où l’on est plus vaniteux. Nous avons eu déjà l’occasion de voir ici des tribuns et des centurions nourris, très bien nourris par leurs coreligionnaires, qui se réduisaient eux-mêmes en leur honneur à la portion congrue; mais ils sentaient invinciblement que ce n’était pas là le plus beau de leur histoire, et il fallait les prier un peu pour obtenir des confidences de cette sorte. Lisez la lettre de M. Kinkel « à ses chers concitoyens et coreligionnaires, » le second document du même genre que nous a procuré la quinzaine ; vous