Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avance à tel ou tel parti détermine le bénéfice du dénoûment. Nous savons cependant un parti qui, pour le quart d’heure, est à peu près celui de tout le monde : c’est le parti de l’optimisme. On ne veut pas admettre que le dénoûment s’opère mal, ni qu’il en puisse sortir une défaite pour la nation et pour la société; en un mot, et nous prenons exprès le mot vulgaire, ce qu’on répète à peu près partout, c’est qu’on s’en tirera.

Qu’y a-t-il au fond de cette confiance singulière que nous n’expliquons pas, que nous ne justifions pas, que nous constatons? Elle est venue, reconnaissons-le, sans avoir en elle beaucoup de raisons d’être que l’on puisse discuter; nous ne nous chargerions pas de l’encourager à outrance, et nous doutons qu’il fût très sage de s’y abandonner sans scrupules, parce que ce ne serait assurément pas sans risques. Cette confiance est-elle l’instinct précieux d’une vitalité encore énergique? Est-ce que la France découvre en elle assez de force pour tout attendre d’elle-même, pour se sauver à elle seule, en dépit de ses sauveurs attitrés? Est-ce le bon sens public qui s’indigne des misérables obstacles avec lesquels on prétend barrer le chemin de la France, et qui, sûr de les vaincre quand même, ne s’en inquiète plus autrement? Ou bien, par malheur, cette confiance ne serait-elle qu’une de ces illusions ordinaires chez les malades désespérés, qui oublient si volontiers la gravité de leurs maux, lorsque ces maux atteignent leur terme suprême? L’avenir décidera.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas étonnant que dans cette disposition presque universelle, dans cet irrésistible penchant que l’on a pour vivre en paix, ou si l’on veut pour dormir tranquillement son dernier somme, on accueille assez mal les donneurs d’avis, les chercheurs d’expédiens, les sentinelles de profession qui se sont vouées à la tâche ingrate de tenir leur prochain en éveil. La presse a donc maintenant fort à souffrir de la mauvaise humeur des gens qu’elle dérange, et l’on se venge aisément sur elle de ne pouvoir pas toujours s’en remettre assez commodément à la Providence : c’est là même une des bigarrures les plus particulières de l’époque dont nous traversons à grand’peine toutes les vicissitudes. Cette époque s’est faite, nous le disons sans amertume, mais sans vanité, par la presse et avec la presse : nous n’avons pas les yeux fermés sur les fâcheuses conséquences qu’il est possible d’attribuer au libre emploi de ce puissant instrument de la pensée moderne; nous croyons pourtant que le mal est ici presque inséparable du bien, comme il l’est dans mille autres endroits de la vie humaine et de la vie sociale, et nous n’hésitons pas à maintenir que la somme du bien dépasse celle du mal. C’est pourquoi nous regardons la liberté de la presse comme l’une des institutions essentielles de ce temps-ci, et nous ne lui souhaitons de limites que parce qu’on a trop éprouvé qu’au règne de la liberté illimitée succédait infailliblement et plus tôt que plus tard l’abolition plus ou moins complète de la liberté régulière. On recommence aujourd’hui une expérience nouvelle de cet inévitable revirement. Si l’on écoutait les impatiens qui visent à la sagesse, ou les systématiques qui tranchent de haut, ce serait même déjà fini, sauf à retomber un jour dans la licence, pour avoir voulu si violemment rejeter les esprits de la licence dans la servitude. Le bourgeois français, plus encore qu’aucun citoyen du monde, doit aux journaux une bonne partie de son éducation : il est tout simple de répondre que c’est pour cela qu’elle est si mauvaise; mais une fois qu’on s’est accordé le plaisir facile de