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convention, un tableau fidèle et complet de la république, courait le risque, il y a quatre ans, d’être reçu par le public comme un tissu d’invraisemblances, comme un roman. Le public était sous le charme des paradoxes historiques ; on lui en avait tant servi depuis vingt ans ! on lui avait fait de tels portraits des hommes de 93, on les lui avait drapés de telle façon, que jamais il n’eût voulu les reconnaître à visage découvert et dans leurs vrais habits. Toute controverse à ce sujet lui eût semblé oiseuse et fatigante, comme une querelle de droit canon. Il avait son parti pris ; il était résolu à ne croire que ce qui ne troublait pas son repos, ne voulait qu’être amusé, n’écoutait que ses flatteurs, et s’endormait dans sa confiance, convaincu que le volcan qui avait englouti nos pères était à jamais éteint. « Maintenant, ajoute M. de Barante, ce qu’il a vu, ce qu’il a souffert, ce qu’il redoute, l’a préparé peut-être à bien accueillir la vérité. » Assurément ce serait jouer de malheur, si ce livre aujourd’hui trouvait des incrédules. Que nous manque-t-il pour ajouter foi aux plus monstrueux égaremens, aux plus délirantes violences de l’esprit révolutionnaire ? N’avons-nous pas vu de nos yeux, entendu de nos oreilles tout ce qu’aux plus mauvais jours de la convention les carrefours de Paris ont vu et entendu ? Est-il une des doctrines, un des sophismes, un des mensonges employés il y a soixante ans pour couvrir le pays de meurtres et de ruines, dont on nous ait fait grâce il y a trois ans ? Le sang aussi n’a-t-il pas coulé à flot dans la cité, non plus, il est vrai, à coups d’assassinats juridiques, mais dans d’odieux combats ? Et si maintenant nous passons de l’horrible au ridicule, est-il une folie qu’on ne nous ait rendue vraisemblable ? Qui pourrait, par exemple, après nos parades de l’hôtel-de-ville, s’étonner que les blanchisseuses de Paris soient venues demander à la convention la peine de mort contre les marchands de savon, et qu’elles aient été admises aux honneurs de la séance ?

M. de Barante a raison, on est payé pour tout croire, pour tout admettre depuis février : au lieu d’un public indocile, sceptique à ses récits, il en trouve un qui sort d’apprentissage et qui n’a ni le droit, ni l’envie de le chicaner sur rien. On le lira donc, et même on le croira : personne ne l’accusera d’avoir rien exagéré ; on sera convaincu de l’exactitude de ses récits, de la fidélité de ses tableaux ; mais profitera-t-on de ses leçons ? C’est autre chose, et sur ce point nous ne voudrions rien garantir. M. de Barante n’en désespère pas : il jette sur l’avenir un regard confiant, et pourtant il ne nous croit pas guéris, tant s’en faut ; il ne sait même pas quand nous serons en voie de guérison, mais nous lui semblons mieux en état de lutter contre le mal que ne l’étaient nos pères en 1792. Sans doute, il y a dans le parallèle qu’il établit entre le temps où nous sommes et l’époque dont il écrit l’histoire quelque chose de rassurant : nous ne contestons aucune des dissemblances heureuses qu’il fait ressortir en notre faveur ; nous reconnaissons que,