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fidèlement rempli, les engagemens qu’il avait pris… Mirabeau laissa alors éclater une ivresse de bonheur dont l’excès, je l’avoue, m’étonna un peu, et qui s’expliquait cependant assez naturellement, d’abord par la satisfaction de sortir de la vie gênée et aventureuse qu’il avait menée jusque-là et aussi par le juste orgueil de penser qu’on comptait enfin avec lui. Sa joie ne connut plus de bornes, et il trouvait au roi toutes les hautes qualités qui doivent distinguer un souverain ; et s’il n’en avait pas fait preuve encore, il fallait s’en prendre ; disait-il, à d’inhabiles et sots ministres qui n’avaient pas su le représenter à la nation avec toutes les qualités, qu’il possédait ; mais il n’en serait plus de même désormais, et on le verrait bientôt occupant une situation digne de son caractère généreux[1]. » L’explication que.M. de La Marck donne de la joie de Minabeau est ingénieuse et indulgente, cependant cette joie l’étonna, il l’avoue, et je crois, Dieu me pardonne, que ce qui choqua, surtout. M. de La Marck dans la joie de Mirabeau, ce fut l’air de parvenu qu’elle lui donnait. Il n’y a que les petites gens qui se réjouissent ainsi de devenir riches. C’est ce sentiment-là seulement que M. de La Marck semble blâmer dans Mirabeau, car l’idée de vénalité attachée au marché ne pouvait pas le scandaliser, puisqu’il avait conseillé et négocié le marché pour un ami qu’il aimait sincèrement. Nous avons de nos jours d’autres sentimens, et la joie de Mirabeau nous choque d’autant plus qu’elle contrarie davantage l’idée que nous attachons à des marchés de ce genre.

Non-seulement Mirabeau se laissé aller à une joie déshonnête selon nous, et de mauvais ton selon de La Marck, en apprenant les libéralités du roi ; il fait pis : il jouit publiquement de sa nouvelle richesse, prend une maison, un valet de chambre, un cuisinier, un cocher, des chevaux, « et pourtant, dit M. de La Marck, chacun savait que, peu de temps auparavant il avait été aux derniers expédiens. Je lui parlai de l’inutilité, du danger de ces dépenses, qui pouvaient produire les plus fâcheux effets dans le public, dont les yeux étaient fixés sur lui. Je lui fis sentir que ses ennemis ne manqueraient pas de rechercher la source de cette opulence si nouvelle et de l’interpréter de la manière la plus embarrassante pour lui. Il supporta toutes mes remarques et même mes reproches avec une extrême douceur, et me promit d’être plus réservé dans ses dépenses ; mais avec son caractère, lui était-il possible de tenir ses promesses sur ce point ? » Les dépenses imprudentes de Mirabeau ne sont pas le seul reproche qu’ait à lui faire M. de La Marck. Mirabeau se sert de ses relations avec la cour pour faire accorder par le roi des secours d’argent considérables à la compagnie des libraires de Paris. « Cela, disait Mirabeau, devait populariser le roi et la

  1. Tome Ier, p. 464.