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d’apprendre que la commune poussait l’audace jusqu’à décerner un mandat contre Roland lui-même, contre le ministre de l’intérieur, contre le collègue de Danton, le chef du massacre?

Jusque-là, M. de Barante nous le dit, et les témoignages contemporains les plus irrécusables l’y autorisent, ils semblaient tout résignés à laisser couler le sang. Comment expliquer autrement leur attitude dans l’assemblée? comment, sans leur tacite approbation, cette législative, où leur parole était souveraine et qui spontanément s’était mise en permanence, aurait-elle laissé les égorgeurs continuer tranquillement leur besogne ? Qu’ont-ils dit, qu’ont-ils fait, qu’ont-ils proposé pour arrêter cette infâme boucherie? N’ont-ils pas toléré que Dussault, envoyé aux prisons pour rendre compte des événemens, se bornât à répondre qu’arrivé à la nuit tombante, les ténèbres ne lui avaient pas permis de voir ce qui se passait? Et ils l’ont laissé dire ! et ils s’en sont tenus là! et ils n’ont pas trouvé un seul de ces pathétiques accens qui s’échappaient si bien de leurs poitrines vingt jours plus tard, lorsqu’il ne s’agissait plus seulement de la cause de l’humanité et de l’honneur de la France, mais de leur propre cause et de leur propre salut! De deux choses l’une, ou l’invention de Danton leur a semblé, comme à lui, un forfait nécessaire, une mesure de salut public, ou dès l’abord elle leur a fait horreur. Dans le premier cas leur silence est une complicité, dans le second une indigne faiblesse : ils ne peuvent échapper à cette alternative.

Mais comment n’auraient-ils pas toléré le 2 septembre? ils avaient fait le 10 août. Le 10 août, voilà l’œuvre des girondins : ils l’ont conçu, médité, préparé, organisé, lorsque Robespierre et les cordeliers eux-mêmes n’en concevaient encore l’idée que dans un lointain avenir. Humilier la royauté sans l’abolir, la faire capituler, se délivrer par la déchéance et du monarque et de la cour, se donner un roi mineur, veiller à son éducation, lui choisir son précepteur, lui nommer un régent, s’emparer sous son nom du gouvernement et des affaires, tel était le 10 août de leurs rêves. C’est à cette catastrophe à leur usage qu’ils ont travaillé nuit et jour, usant tout ce que Dieu leur avait donné, aux uns d’activité, d’ardeur et de génie d’intrigue, aux autres de facultés oratoires. Ils se sont rués sur ce but impossible avec une infatuation et un aveuglement auxquels lois hommes de parti sont fatalement condamnés chaque fois qu’ils n’écoutent que leur amour-propre blessé et leur fureur ambitieuse.

Le 20 juin lui-même ne leur a pas ouvert les yeux! Ils n’ont pas vu qu’une fois déchaînée, une fois lancée sur les Tuileries, cette multitude ne les écoutait plus; que rêver une insurrection sainte, docile, obéissante, s’arrêtant au sifflet de ses chefs comme l’équipage d’un navire, c’était de toutes les chimères la plus folle et la plus périlleuse. Même après cet avertissement sinistre, n’ont-ils pas continué, comme des