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la convention. Là, leur conduite, sans être irréprochable, rachète au moins, par des élans de courage, de trop fréquentes lâchetés. En les voyant opprimés et vaincus, on oublie qu’ils eurent le double tort d’être oppresseurs sans savoir être victorieux. Pour qui ne les voit qu’à la convention, on conçoit l’indulgence, on conçoit presque l’admiration. Dès le premier jour, nous les trouvons aux prises avec la horde impie qui a juré guerre à mort à la société; ils osent lui tenir tête, ils la provoquent avec trop d’ostentation peut-être, mais non sans audace et sans cœur. Ces scènes à effet, Louvet accusant Robespierre, Vergniaud dénonçant les assassins de septembre, voilà ce qui nous reste dans la mémoire, ce qui s’associe dans notre esprit au nom des girondins. Il est vrai que nous rougissons pour eux lorsque vient le fatal procès, lorsque leur bouche laisse échapper cette sentence qu’une heure auparavant ils proclamaient odieuse et criminelle, lorsqu’ils n’osent pas même imiter l’énergie des plus obscurs membres de la plaine, lorsqu’après avoir laissé tomber la tête du monarque, ils s’imaginent sauver la leur en se montrant contre les malheureux débris de l’ancienne société plus violens, plus soupçonneux, plus tyranniques que les montagnards eux-mêmes, et en inventant enfin ce tribunal révolutionnaire dont ils devaient être les premières victimes. Mais, à côté de ces fautes honteuses, dégradantes, leur parole reste noble et sonore, elle retentit à nos oreilles, et, comme dans la lutte qu’ils soutiennent ils ont affaire à des monstres, nous nous passionnons pour eux malgré nous, nous oublions ce qu’ils ont fait pour n’écouter que ce qu’ils disent, nous les prenons pour ce qu’ils se donnent, pour les défenseurs des lois et de la morale, les soutiens de la société, les interprètes de la conscience publique.

Mais l’histoire, l’inflexible histoire, ne se laisse pas abuser ainsi : elle retourne le feuillet, et nous met le doigt sur la page oubliée. Sans doute, il est beau d’entrer à la convention pour y lancer l’anathème contre les assassins des malheureux prisonniers de la Force et de l’Abbaye, contre leurs instigateurs et leurs complices; mais remontons seulement de quelques jours en arrière : que disaient-ils, ces tribuns, la veille du 2 septembre? que disaient-ils le lendemain? leurs lèvres n’étaient-elles pas glacées? ou, si par hasard elles se sont ouvertes, qui voudrait nous répondre qu’il n’en soit sorti aucun mot d’approbation ou même d’encouragement pour cette façon de faire peur aux aristocrates et aux amis de la royauté? Le matin du 3 septembre, Louvet, dans sa Sentinelle, ne parlait-il pas avec excuse de ce qui s’était fait la veille? et si dans la journée une édition nouvelle exprimait quelque blâme, d’où venait ce changement? pourquoi ce qui semblait pardonnable le matin devenait-il tout à coup criminel? N’était-ce pas, on a honte de le dire, parce que les témoins muets du crime commençaient à s’apercevoir qu’ils pouvaient en être atteints? parce qu’on venait