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faire une idée juste maintenant, pour débrouiller la vérité dans ce fatras de paroles et d’écrits, il n’y a qu’un moyen, remonter aux sources, fouiller le Moniteur, comparer les récits, contrôler les témoignages, procéder sur tous les points douteux, sur tous les faits contestés, à une consciencieuse enquête ; mais qui donc a le loisir de faire, pour son propre usage, un travail aussi long et aussi difficile ? Faute de mieux, on se résigne à ce qu’on a sous la main : on accepte la convention telle que ses amis l’ont faite, peuplée d’hommes de génie, de gigantesques courages, de cœurs brûlans du pur amour de la patrie et de l’humanité ; ou bien, si ce charlatanisme vous révolte, si vous avez soif de vérité et de contradiction, vous êtes réduit à feuilleter quelques pamphlets surannés, mal informés, d’une partialité crédule, et tout empreints d’un esprit contre-révolutionnaire qui dès l’abord éveille votre soupçon. Ainsi, aucun moyen de savoir à quoi s’en tenir, aucun instrument facile et à la portée de tous pour bien connaître la convention.

C’est le sentiment de ces embarras du public qui a donné à M. de Barante la pensée d’entreprendre et le courage d’exécuter le grand travail qu’il commence à mettre au jour. Déjà, dans un écrit publié il y a trois ans[1], il avait, sans le savoir, laissé pressentir son dessein et révélé le but de ses nouvelles études. Examinant, à propos de la constitution de 1848, toutes les constitutions précédentes et les diverses assemblées qui nous les ont données, il avait peint la convention en quelques pages excellentes ; il lui avait rendu sa vraie place et son vrai caractère. Ce portrait parut d’autant plus neuf qu’il était plus ressemblant : on sentait que l’auteur ne parlait pas par ouï-dire, qu’il avait sur cette époque et sur ces hommes des données trop exactes, un jugement trop sûr pour n’en avoir pas fait une persévérante étude. Aussi fut-il sollicité de ne pas garder pour lui seul des vues si neuves par le temps où nous sommes, de ne pas laisser inachevé un travail qui pouvait redresser tant d’erreurs, confondre tant d’impostures, fortifier tant de faiblesses, rendre, en un mot, tant de vrais et bons services au pays et à la société. Ces raisons le décidèrent à poursuivre une mission que déjà il s’était donnée lui-même, et depuis trois ans, du fond de la retraite où l’ont jeté nos catastrophes, au milieu du calme et du silence, il se consacre à nous donner une complète et sincère histoire de la convention nationale.

Personne mieux que lui n’était fait pour cette tâche. Il fallait son talent, l’autorité de son caractère, et jusqu’à sa nature d’esprit ; il fallait cette passion de la vérité toute nue, cette ardeur d’impartialité, ce besoin de ne rien omettre, qui éclatent à chaque page de l’Histoire des ducs de Bourgogne. Si jamais ces qualités ont été opportunes et bien

  1. Questions constitutionnelles, 1849.