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N’allait-on pas remettre tout en question, tout réviser, tout excuser, tout réhabiliter? Des paradoxes qui la veille n’auraient passé que pour des jeux d’esprit se posèrent hardiment comme des vérités méconnues, et ces soi-disant vérités ne tardèrent pas à engendrer d’autres hardiesses, encore moins vraisemblables, encore mieux accueillies. C’est ainsi qu’en peu d’années nous avons vu défigurer pièce à pièce tous les faits, tous les hommes qu’a produits la fin du dernier siècle; c’est ainsi que s’est construite effrontément sous nos yeux cette contrefaçon d’histoire dont l’esprit révolutionnaire fait aujourd’hui son catéchisme.

Pour que rien n’y manquât, il fallait que la poésie se mît de la partie et portât les derniers coups; il fallait que le plus lyrique des hommes de ce temps, à bout de rimes et de succès, prît fantaisie de se faire historien, qu’il se jetât sur la chute de la royauté, sur le règne de la terreur comme sur d’heureuses occasions de réveiller sa muse et de verser des flots de prose colorée. Pouvait-il échapper à la contagion régnante, à cette fièvre d’indulgence dont, vingt ans auparavant, de judicieux esprits avaient senti les premiers accès? Non, il était condamné, par son imagination d’abord et plus encore par la soif du succès, à enchérir sur tous ses prédécesseurs, à se complaire dans le commerce et dans l’intimité des odieux personnages si long-temps et si justement voués à l’exécration publique, à les absoudre avec délices à les farder avec amour, et à s’élever envers eux de l’excuse à l’apothéose. Il n’y a point manqué. Et pourtant tout n’est pas poison dans ce livre : il s’en échappe aussi parfois quelques saines paroles, on y rencontre comme des retours confus et involontaires vers le bien, vers la vérité; mais pour une page où le crime est flétri, il y en a vingt qui l’adulent et où l’encens fume à sa gloire.

Notre intention n’est pas de faire ici le procès à tous ceux qui, soit aux premiers rangs, soit aux plus subalternes, ont contribué, de loin comme de près, avec ou sans intention, à ces falsifications systématiques de nos annales révolutionnaires. Nous ne voulons pas dire quels égaremens ils ont fait naître, quelle large part leur appartient dans nos récentes calamités, dans la révolution de février, par exemple ; combien ces amnisties rétrospectives ont porté d’hésitation dans les esprits, de trouble et de mollesse dans les âmes, de sacrilège et de scandale jusque dans ce sanctuaire des lois où le premier venu se croit maintenant autorisé à comparer la terreur à l’Iliade et Robespierre à Jésus-Christ. Notre seul but en jetant ce coup d’œil en arrière a été de constater et de faire comprendre comment la convention, celle de toutes nos assemblées dont le nom est le plus souvent prononcé de nos jours, celle qu’on invoque à tout propos, est en même temps celle qu’on connaît le moins bien. Le public en savait beaucoup plus sur son compte avant qu’on lui en eût tant et si mal parlé. Pour s’en