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individu : les écrivains dont nous parlons sortirent de ces voies battues. Sans absoudre absolument personne, ils ne reconnurent qu’un grand coupable, la force des choses; ils s’attachèrent à démontrer que la révolution française n’avait point fait fausse route, que sa marche était tracée d’avance, et qu’il avait bien fallu qu’elle en parcourût toutes les phases; tant de sang et de ruines était à regretter sans doute, mais le salut du pays étant la loi suprême, dès l’instant que le pays avait été sauvé, tout ce qui avait été avait dû être.

Le moment était favorable pour produire ces nouveautés. C’était l’époque où le gouvernement de la restauration s’engageait sur une pente qui devait en peu d’années le conduire à ces fatales ordonnances que les plus fidèles royalistes qualifient aujourd’hui comme nous. Il commençait à être battu en brèche, non plus seulement par les conspirateurs issus du bonapartisme, mais par toute une génération active, intelligente, sincèrement éprise de la liberté constitutionnelle, bien qu’entraînée à son insu par quelques étroits esprits rêvant déjà la république. C’est au milieu de cette jeunesse que fut lancée la nouvelle théorie. Sa fortune était certaine. Tous les républicains l’adoptèrent; les libéraux l’acceptèrent presque tous. Il y en eut cependant, nous tenons à le rappeler, qui protestèrent dès le premier jour. Ce fatalisme historique, cette glorification du succès, ne pouvaient se concilier avec la philosophie qu’ils croyaient vraie et qui servait de base à leurs idées politiques. Mais le nombre de ces dissidens était alors restreint; leur voix n’avait d’écho que dans quelques salons, et la feuille littéraire qui devait leur servir de tribune n’avait pas vu le jour. Le grand courant de l’opinion appartenait encore tout entier au XVIIIe siècle. Nos deux historiens en étaient les disciples fidèles : ils en rajeunissaient, non l’esprit, mais la forme, l’un par sa concision didactique, l’autre par une abondance facile et pittoresque. La masse du public était en communion secrète avec eux; aussi leur succès fut immense, et, à vrai dire, incontesté.

De ce jour on vit se modifier, se transformer peu à peu, d’abord dans nos écoles, puis, de proche en proche, dans toutes les couches de la société, la manière de sentir, de comprendre, de juger la révolution et en particulier la convention. Nous ne voulons pas dire que deux hommes, quel qu’ait été leur talent et leur succès, aient, à eux seuls, produit cette transformation, mais ils en ont singulièrement hâté et facilité le développement. Une fois ce principe de la force des choses introduit sur la scène historique, et planant au-dessus des bourreaux comme au-dessus des victimes, que devenaient les opinions les plus accréditées, les témoignages les plus unanimes, les jugemens rendus en dernier ressort aussi bien par l’instinct populaire que par les traditions les plus sûres et les mieux établies? Tout n’était-il pas ébranlé?