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sa thèse. « J’essayai de diminuer le mérite de ce qu’on est convenu d’appeler de belles morts, en soutenant qu’elles étaient le plus souvent le résultat d’une orgueilleuse affectation. Quant à moi, dis-je, les morts que je trouve les plus belles ; ce sont celles auxquelles j ai assisté sur le champ de bataille et dans les hôpitaux, où des soldats, d’obscurs malades conservaient tout leur calme, n’exprimaient pas un regret de quitter la vie et se bornaient à demander qu’on les plaçât dans une position ou, souffrant moins, ils pussent mourir plus commodément. — Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites là, répliqua Mirabeau. – Et puis nous parlâmes d’autre chose. J’avais oublié toute cette conversation lorsque le jour où je transportais chez moi les papiers de Mirabeau, étant ensuite revenu chez lui, je m’étais assis près de la cheminée de la chambre où il était couché. Bientôt après il m’appela ; je me lève, je vais près de son, lit ; il me tend la main, et, serrant la mienne, il me dit : « Mon cher connaisseur en belles morts, êtes vous content ? » À ces mots, quoique naturellement froid par caractère, je ne pus retenir mes larmes. Il s’en aperçut et me dit alors les choses les plus affectueuses et les plus touchantes sur son amitié et sa reconnaissance pour moi : Je ne puis répéter ici ce qu’il me dit d’amical : quand la modestie ne me commanderait pas la réserve, je ne saurais jamais bien exprimer tout ce qu’il trouva d’élévation et d’énergie dans son esprit, de chaleur et d’élan dans son ame pour me témoigner son attachement[1].

Je tenais à bien expliquer ce qu’il y avait d’amitié sincère et noble entre Mirabeau et M. de La Marck avant d’en revenir au sujet de la correspondance, c’est à dire aux relations que M. de La Marck établit entre Mirabeau et le roi et la reine. Le but de ces relations était le plus noble et le plus important du monde, puisqu’il s’agissait de sauver la monarchie en la régénérant, et, en sauvant la monarchie, de sauver aussi la société ; mais le moyen n’eut rien de beau, car, à prendre les choses en mauvaise part, ces relations ne furent qu’un marché, et c’est M. de La Marck qui négocia ce marché. Ici j’ai plusieurs remarques à faire ; les unes à la charge de Mirabeau, les autres à sa décharge. Commençons par les premières.

M. de La Marck lui-même fut choqué, dit il, de la joie que manifesta Mirabeau quand il apprit qu’il recevrait 6,000 francs par mois, que toutes ses dettes jusqu’à concurrence de 200,000 francs seraient payées. « De plus ; dit M. de La Marck, je lui montrai les quatre billets de 250,000 francs chacun que je devais conserver entre mes mains, et je l’informai que l’intention, du roi était de lui faire remettre cette somme d’un million, si, à la fin de la session de l’assemblée, il avait

  1. Tome Ier, p. 258-259.