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bâtimens ! Qui sont ces anges de bonté en robes noires ? À côté d’une église est situé ce palais. On y remarque une large porte, et tout auprès une espèce de lucarne…

— Jamais ! s’écria Bérénice, jamais, tant que sa mère vivra, le pauvre enfant ne sera jeté dans la buca.

Deux larmes cherchaient à glisser sous les cils blonds de Giovannina.

— Elle est trouvée ! dit la sorcière ; elle est trouvée, l’ame bonne, l’amie sincère et généreuse. C’est elle qui sauvera la pauvre fille qu’un moment de faiblesse a perdue. Cette carte la désigne aussi clairement que si on y lisait son nom gravé en toutes lettres au lieu de ces mots : Regia interessata ; saluons l’as couronné, la carte des belles actions, des chances inespérées, des coups du ciel et des mains secourables.

— Cela est merveilleux ! s’écria Giovannina. Les cartes ont annoncé tout ce qui se passait dans mon cœur. Oui, je te soutiendrai, je te défendrai, pauvre Bérénice. Tu trouveras chez moi du travail pour gagner ta vie, des secours, des soins, une amie dévouée qui essuiera tes larmes. Oh ! que je suis contente d’avoir su faire fortune ! Va, tu ne manqueras de rien dans ma maison. Je te donnerai une robe plus belle que la mienne, et, quand ton lâche amant te verra heureuse sans lui, je gage qu’il te viendra demander sa part de ton bonheur ; mais, s’il ne vient pas, je l’irai chercher moi-même, et je l’amènerai à tes pieds, ou, s’il refuse de me suivre, je lui donnerai trente paires de soufflets.

Bérénice jeta ses bras au cou de Giovannina, et les deux amies s’embrassèrent en pleurant.

— Attention ! dit la sorcière. Voici des cartes importantes : elles recommandent la prudence et la modération. Les pêcheurs de Chiaïa sont vains et légers ; ils font gloire, comme d’un chef-d’œuvre, d’avoir tiré d’une jolie fille ce qu’ils voulaient, et ils lui montrent ensuite un visage plus hautain que s’ils portaient moustache. Le roi des bâtons s’avance, tenant le rameau de la paix. Écoutez ses avis : « Filez doux avec l’amant vainqueur, filles impatientes ; il ne vous sied point de crier et de gronder. Et vous, filles courtisées, ne soyez point trop fières ; réconciliez-vous avec vos amans, passez sur les défauts dont ils sont cousus. Mariez-vous d’abord, mariez-vous sans différer ; mariez-vous, et, quand ce sera fait, si vos époux sont querelleurs, jaloux, libertins et paresseux, c’est alors que vous pourrez leur administrer des soufflets. Ne les ménagez pas ; tapez ferme, comme sur des ânes. » Ainsi s’exprime le roi des bâtons. Allez, mes enfans, et mettez à profit ses sages conseils.

Quand une Napolitaine se mêle d’être généreuse, ce qui est rare, elle y met autant d’emportement et de vigueur que dans la haine et la cruauté. Giovannina ne voulut pas attendre au lendemain pour obéir aux mouvemens de son cœur. Elle conduisit chez elle Bérénice,