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— Voilà un beau rubis, dit une voix mielleuse ; le possesseur de ce bijou est un homme riche.

Celui qui parlait ainsi était un jeune signorino vêtu d’un habit vert, gras du collet et blanc sur les coudes, mais garni de presque tous ses boutons de cuivre. Une cravate jaune en charpie, un pantalon noir festonné du bas par le temps et l’usage, des bottes trop longues et retroussées du bout comme des patins, complétaient le costume de cet élégant, que Nino reconnut pour une personne de qualité à la grâce du langage et des manières plus encore qu’à la recherche de la toilette.

— Il est cruel, poursuivit le jeune élégant, il est dur à un pauvre domestique de tenir dans ses mains une fortune et de l’aller porter à une dame qui n’en a pas besoin.

Nino, étonné d’un discours où il retrouvait exactement les pensées qui lui trottaient dans l’esprit, regarda l’inconnu avec des yeux ronds.

— A ta place, ajouta le signorino, je ne m’en dessaisirais pas. Bien sot est celui qui tient une proie si magnifique et la lâche.

— Comment faire pour la garder ? demanda Nino.

— Ton patron est étranger sans doute, reprit l’inconnu. Combien de temps encore doit-il passer à Naples ?

— Il part dans un mois.

— Eh bien ! tu rentreras à la maison en lui disant que tu as fait la commission. Peut-être il ne s’apercevra de rien, et s’il apprend que tu n’as point remis la bague, tu te cacheras pendant un mois. Viens. Je t’achète ce bijou ; nous le ferons estimer, et je t’en remettrai la valeur.

Le jeune signorino partit au pas militaire, et s’enfonça, suivi de Nino, dans les détours du vieux Naples. Ils entrèrent tous deux dans une maison de chétive apparence, et montèrent un escalier de bois. Un juif, le nez chaussé de ses lunettes, les reçut dans une chambre malpropre qui lui servait à la fois de salon et de cuisine. Après avoir échangé avec le signorino un regard d’intelligence, le juif prit la bague, la tourna entre ses doigts et fit mine d’essayer le métal avec la liqueur d’un petit flacon.

— Il y a pour dix carlins d’or, dit-il ensuite. Quant à la pierre, elle est fausse. En tout, cela vaut deux piastres.

— Je m’en doutais ! s’écria le jeune élégant. Fort heureusement pour ce pauvre garçon, j’ai une maîtresse qui désire une bague comme celle-ci. J’ajouterai trois carlins au prix d’estimation, et il fera un marché d’or.

— Quinze carlins ! dit Nino. Je croyais que ce bijou valait bien davantage. Ne disiez-vous pas que le possesseur était un homme riche" ?

— Assurément. Pour acheter une bague de deux piastres, il faut encore avoir une certaine aisance. Tel était le sens de mes paroles. Voici tes quinze carlins. Si l’on découvre que tu as vendu la bague, tu