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— Ce n’est pas à moi que tu en veux, Ciccio ? dit-il d’une voix altérée par la frayeur.

— À toi-même, répondit le pêcheur avec un rire féroce.

Dans ce moment suprême, Nino voulut implorer le secours de la madone dell’Arco, protectrice particulière de tous les gens en danger de mort ; mais il n’eut pas le temps de formuler le vœu qui l’aurait certainement sauvé. Avant qu’il eût promis à la madone deux petits flambeaux de cuivre argenté, une explosion terrible interrompit sa prière. Un nuage de fumée lui déroba la figure de son assassin. Le pauvre Nino éprouva une secousse accompagnée d’angoisse. Ses genoux fléchirent, il tomba au milieu des pierres en poussant un cri plaintif, et demeura sans mouvement.

Bérénice, qui observait de loin cette scène tragique, vit choir la victime et courir vers elle le meurtrier.

— Regarde, lui dit Ciccio, j’ai tenu ma promesse : il est mort ! A présent, fuyons ensemble.

— Pas encore, répondit Bérénice ; je ne suis qu’à moitié de ma vengeance.

— C’est assez pour un jour, reprit Ciccio ; tu nous perdrais tous deux, si tu attentais à la vie de ta rivale. Laisse à Giovannina les larmes et le désespoir. Fuyons à l’instant.

— Où vas-tu me conduire ?

— Dans les montagnes d’Amalfi, où ma sœur habile une chaumière. C’est là que nous attendrons que les robes noires nous aient oubliés. Un crime nous unit pour la vie. Allons, compagne du brigand, du contumace, de l’assassin, suis ton amant !

Ciccio pressa fortement le bras de Bérénice et l’entraîna dans Naples, Une barque de pêche qui partait recueillit les deux fugitifs et les conduisit à Sorrente, où ils prirent le chemin des montagnes. Vers le milieu de la nuit, ils arrivèrent à Amalfi. Bérénice, épuisée par la fatigue et les émotions de cette journée, chancelait appuyée sur le bras robuste de son complice.

— Point de remords ! point de faiblesse ! lui dit Ciccio avec une liberté d’esprit qu’elle trouva sublime ; point de crainte ni d’inquiétude ! Celui qui t’a vengée saura bien te défendre !


V.

Empressons-nous de rassurer le lecteur sur le sort de notre ami Nino. La violente secousse qu’il avait ressentie n’était autre chose que le sursaut causé par la détonation de l’arme à feu. La peur seule avait fait fléchir ses genoux. Le cri plaintif était l’accompagnement naturel de sa chute au milieu des pierres, et c’était la prudence qui lui