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Vers onze heures et demie du matin, Nino, en passant sous la porte cochère de la Victoire, sentit quelque chose accroché au pan de sa veste. Il se retourna et vit une petite fille de six ans, fort déguenillée, qui le suivait comme un chien.

— Que me veux-tu ; mendiante ? dit-il avec arrogance.

— C’est une commission, répondit l’enfant, une commission pour votre seigneurie de la part de son amoureuse.

— Comment s’appelle mon amoureuse ?

— Eh ! la Giovannina. Donc elle m’a commandé de venir ici et de dire à votre seigneurie qu’elle l’attendait dans le chemin du Vomero.

— Quel chemin ? celui de Pausilippe ou celui d’Antignano ?

— Nenni ; dans le troisième.

— Le sentier de la Petrara ! c’est un mauvais chemin.

— Plus désert, plus commode pour causer.

— Combien as-tu reçu pour cette commission ?

La petite fille montra une pièce en cuivre d’un demi-carlin. Nino pensa que Giovannina seule, parmi toutes ses connaissances, était assez riche pour payer si généreusement un message, et, sa défiance étant dissipée par cette juste réflexion, il partit pour le Vomero. Le troisième sentier indiqué par la petite mendiante, et que les gens du peuple appellent Petrara à cause des pierres dont il est encombré, descend rapidement en zigzag sur le roc du fort Saint-Elme. Il y passe peu de monde, et les blanchisseuses chargées de leurs corbeilles ne le prendraient pas sans danger. Les détours et les angles des murs de la forteresse en font un lieu favorable pour des rendez-vous ou des embuscades.

Aussitôt que Nino se vit enfoncé dans cette solitude, il se repentit de son imprudence, et voulut revenir en arrière ; mais en se retournant il aperçut de loin Bérénice, qui descendait lentement le sentier pour lui couper la retraite. Cette rencontre ne présageait rien de bon. La mine sombre et les sourcils froncés de cette amante irritée semblaient annoncer quelque projet sinistre. Nino se crut perdu. Au rebours du prince Hamlet, qui suivit avec tant de courage le spectre de son père, le lazzarone infidèle prit la fuite à toutes jambes devant la figure menaçante de son ancienne maîtresse. Il descendit en courant le sentier pierreux, au risque de se casser le cou, tant il avait hâte de sortir de ce défilé périlleux. La peur lui serrait la gorge. Sa respiration était brève, et son cœur sonnait dans sa poitrine comme une cloche d’alarme. Tout à coup, au coin d’un mur, il reconnut à dix pas de lui le pêcheur Ciccio, portant une carabine sur son épaule. Ciccio appuya la crosse de la carabine sur son ventre et souleva le chien de la batterie, comme pour l’armer. Nino s’arrêta subitement. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête, et une sueur froide lui mouilla les tempes.