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— Fasse le ciel, reprit-elle, que cette folie ne me vienne pas de vouloir du bien à un mauvais sujet comme vous ! N’ai-je pas laissé voir que je ne suis point sorcière, lorsque je vous ai cru bon à marier ?

— Vous êtes plus sorcière que vous ne l’imaginez, dit Nino. Apprenez qu’une tireuse de cartes m’a prédit que j’aurais bientôt de la fortune ; et une belle fortune ! J’ai vu de mes deux yeux les quarante figures du grand jeu se ranger sur la table, et l’image des six médailles revenir trois fois de suite pour me composer un horoscope d’or et de diamant, si bien que la tireuse de cartes, étonnée de mon bonheur, m’a recommandé le silence, de peur que toutes les filles ne se disputent l’avantage de partager mon sort. Aussi n’en ai-je dit mot à personne, hormis à une seule fille, à la plus belle des laveuses du Vomero.

Ces paroles de Nino produisirent une impression profonde sur l’esprit de Bérénice. L’horoscope d’or et de diamant, la carte des six médailles et la recommandation de la tireuse changeaient absolument la position sociale de ce garçon. Sous les dehors d’un lazzarone, il devenait évident que Nino déguisait un enfant gâté du destin. C’était un coup du ciel pour une fille que de connaître seule cet étrange secret. L’artifice de langage employé pour en faire la confidence était d’ailleurs d’une délicatesse si aimable, que Bérénice en eut un fort battement de cœur. Cependant la belle laveuse s’informa qui était cette tireuse de cartes, et, lorsque Nino lui eut fourni loyalement les moyens de vérifier l’exactitude et la sincérité de ses paroles, Bérénice se sentit troublée dans le fond de l’ame. Elle voulut dissimuler son émotion en continuant à badiner ; mais Nino s’aperçut qu’elle n’avait plus autant de malice dans le propos. A l’entrée de la grotte de Pausilippe, le petit lazzarone s’approcha doucement de la belle laveuse et lui prit la main. Ils marchèrent ainsi côte à côte jusqu’au milieu de la grotte, où l’obscurité devint complète. Quand la lumière reparut, Nino avait obtenu le baiser qu’il souhaitait sans avoir usé ni de force ni de surprise, et Bérénice, tremblante et suffoquée, se croyait de la meilleure foi du monde bien et dûment fiancée à l’homme le plus fortuné qui fût dans les Deux-Siciles.


III.

Pendant ce temps-là, Giovannina se reprochait d’avoir repoussé les politesses de Nino avec plus de cruauté que n’en commandaient la sagesse et la prudence d’une honnête fille. L’idée d’avoir offensé ce jeune homme en lui témoignant un mépris qu’il ne méritait pas la tourmentait comme un remords. Elle y rêva tout le reste du jour, et ne s’endormit qu’après avoir imaginé un moyen de se faire pardonner ses torts. Le lendemain, la compagnie ne manqua pas de revenir au