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qu’il disparaît avec son avance, et c’est ce qui explique les 50 pour 100 ajoutés aux frais véritables, afin de couvrir ces non-valeurs. On calcule qu’un ouvrier doit rendre une livre d’or par saison pour donner le bénéfice ordinaire. Deux mille Indiens sont occupés sur le cours de la rivière, quand tous les travaux sont en exploitation; mais ce n’est qu’une faible portion qui se trouve ainsi attaquée, et, en doublant le nombre d’hommes employés aujourd’hui, on pourrait travailler pendant vingt années sur le Tipuani seul, qui a une longueur exploitable d’environ cent milles. La playa San-Carlos, formée par une espèce de cirque de collines, est complètement vierge. Pendant une année de travail à Salomon, on a chargé vingt Indiens d’or, c’est-à-dire que chaque homme portait plus de dix quintaux, et la playa est restée vierge en partie, chaque arrobe ou 25 livres de terre donnant 18 livres d’or presque entièrement pur.

Les meilleurs lavages russes donnent un soixante-quatre millième, et les inférieurs un quatre cent millième; à Tipuani, les lavages inférieurs donnent souvent deux millièmes. Et cette rivière, seule exploitée jusqu’à ce jour, n’est pourtant pas l’unique sur laquelle les travaux puissent s’opérer. Le Mapiri, bien plus considérable que le Tipuani, serait bien plus productif : un seul triangle, formé par une sinuosité de la Chalana à Vilaqué, donne une surface de 6,000 vares (4,800 mètres), qu’on peut sécher en coupant un isthme de 80 vares (64 mètres). Tous les affluens qui contribuent à former le Guanay contiennent des richesses analogues, dédaignées ou inconnues jusqu’à ce jour, et baignent des rives propres à toute culture, dont le défrichement assainirait le pays et le délivrerait de ces fièvres qui chassent le travailleur pendant la saison humide. Toutefois il faudrait pour cela que la cordillère ne se dressât pas comme un mur infranchissable, grevant de frais énormes même la production la plus riche, celle de l’or. Pour que les améliorations pussent féconder l’exploitation actuelle et permettre celle des autres rivières, il faudrait qu’une voie nouvelle fût ouverte et rapprochât la Bolivie de l’Europe. C’est ce qui doit immanquablement arriver, grâce à l’expédition scientifique qu’on projette en ce moment : des obstacles existent sans doute et sont d’autant plus difficiles à surmonter qu’il s’agit de traverser des pays inconnus, habités presque tous par des peuplades sauvages. Cependant, chaque jour, les habitans font le voyage du grand Para au Guaporé, ou remontent le Madeira et ses chutes pour venir en canot vendre leur sel aux frontières du Brésil et de la Bolivie. Il est donc permis de croire que la science et l’énergie européenne, mues par l’intérêt si puissant qui s’attache à la colonisation de l’intérieur de l’Amérique, sauront vaincre des obstacles qui n’arrêtent pas des nations à demi barbares. La Californie alors sera moins près de l’Europe que les rives du Tipuani, et pendant que l’or de la Bolivie brillera sur nos marchés, le café des yungas, qui rivalise avec celui de Moka, le cacao, qui vaut celui de Cuba, iront aussi s’échanger dans nos ports et donner la preuve de ce que la civilisation pourrait faire de ce pays.


LEON FAVRE,

Consul-général de France en Bolivie.


V. DE MARS.