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corbeille pleine de linge qu’elle soutenait de la main gauche, et portant de l’autre main sa secchia, elle prit le chemin de la ville après avoir gratifié le complaisant muletier d’un sourire en signe de remerciement. À cent pas de la fontaine, elle entendit quelqu’un marcher derrière elle, et, pour laisser le passage libre, elle se rangea sur le bord du chemin ; mais, au lieu de passer devant, le petit Nino s’arrêta en face de la jeune fille.

— Divine fanciulla, dit-il, je vois bien que vous allez me gronder si je vous dis qu’au lieu d’écouter l’histoire de la Cosenzine, je n’ai fait qu’admirer votre grace et votre doux visage pendant le récit d’Annibal ; aussi, de peur d’être mal reçu, je vous parlerai d’autre chose. Cela fait plaisir de voir travailler une fille courageuse comme vous ; mais le plaisir devient peine quand la fatigue commence, et vous êtes fatiguée. Ce linge mouillé est bien lourd pour vos bras mignons. Accordez-moi l’honneur de porter votre corbeille et votre secchia au moins jusqu’à la porte de la ville.

— Je n’accepte point de services des jeunes gens, répondit Giovannina ; sous le prétexte d’aider les filles, ils ne songent qu’a les enjôler.

— Me préserve le ciel de vouloir vous enjôler ! reprit Nino. Plus vous êtes belle et plus je vous crains, L’abbesse des carmélites ne me semblerait pas plus terrible que vous, avec sa mine sévère et sa guimpe. Oubliez mon âge ; figurez-vous que j’ai quarante ans, et laissez, que je vous soulage de votre fardeau.

— Puisque vous avez si grand’peur de moi, dit la jeune fille, sauvez-vous et ne vous arrêtez pas ici plus long-temps. Je n’ai point sollicité l’honneur de faire votre connaissance.

— La peur m’ôte les jambes, reprit Nino, et votre cruauté me déchire le cœur. Mais comment ai-je pu mériter vos dédains, et en quoi suis-je indigne de vous connaître ?

— Franchement, répondit la jeune fille, je vous crois paresseux, plus pressé de courir après les laveuses que de chercher du travail. Vous ne faites point de métier, vous vivez au hasard, et l’on voit bien que si la belle Cosenzine du conteur d’histoires vous eût aimé, les Turcs l’auraient emmenée à Zerbi.

— Si vous-même, s’écria Nino, vous qui ne m’aimez point, vous tombiez entre les mains des Turcs, je vous jure qu’ils ne vous emmèneraient point à Zerbi.

— Et où trouveriez-vous mille piastres fortes pour le puissant Cariadin, plus trois colliers d’or, trois bracelets de corail et trois spillone de perles fines pour les trois favorites de ce seigneur corsaire ?

— Je me vendrais moi-même. N’ayant ni maison, ni barque, ni filet, je me ferais esclave à votre place, et je vous dirais : « Allez, Giovannina, et soyez heureuse ; moi, je vais là-bas recevoir des coups de