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imaginer, un trio avec chœur qui a de la vigueur, et puis encore un duo d’amour qui produirait de l’effet, s’il était mieux conçu, moins long et placé dans une meilleure situation.

L’opéra du Château de la Barbe-Bleue est l’œuvre d’un homme de talent, d’un musicien instruit, qui connaît l’orchestre et qui a plus de passion que de distinction dans les idées. Cette partition, trop touffue, renferme trois fois plus de musique qu’on ne saurait en supporter dans un opéra-comique, et chacun des nombreux morceaux qui la composent n’a pas d’autre raison d’être que le plaisir du compositeur. C’est le système de la mauvaise école italienne sans ses avantages, c’est-à-dire de la musique pour de la musique sans que l’intérêt de l’action en explique la nécessité. Mme  Ugalde, qui remplit le rôle très important de la Barbe-Bleue, n’a pas été cette fois plus heureuse dans son entreprise que M. Limnander dans la sienne. Elle chante trop, et les morceaux confiés à son talent audacieux manquent d’originalité. Ce ne sont que des vocalises qui fatiguent son organe aussi bien que le public. M. Dufrène, qui est chargé du personnage du comte de Rochambeau, est un ténor de province, dont la voix, un peu pâteuse et terne, n’est pas dépourvue de charme. M. Dufrène chante avec assez de goût, mais on peut lui souhaiter un peu plus de distinction. M. Coulon, jeune élève du Conservatoire, possède une voix de basse qui produit un bon effet dans le fragment de ballade qu’il chante au second acte, ainsi que dans d’autres morceaux du rôle de boucanier qui lui est échu tout à coup sans qu’il ait pu s’y préparer suffisamment. Cette voix, un peu rude, gagnera beaucoup à s’assouplir.

L’Opéra a donné un nouveau ballet, Vert-Vert, qui n’est qu’un cadre ingénieux disposé pour faire valoir le talent d’une jeune danseuse que nous envoie l’Italie. Mme  Priora est née à Milan. Elle est grande, svelte, flexible, aux traits un peu sévères, et elle semble avoir été mise au monde tout exprès pour danser. Sa pantomime est noble ; ses gestes, peu nombreux, sont expressifs, et révèlent un sentiment élevé de l’art. Elle danse avec vigueur, et sa jambe nerveuse et souple se déroule au gré de sa fantaisie. Il y a de la Taglioni dans cette jeune fille, et le public a fait à Mme  Priora un accueil plein d’espérances.

A. DE PONTMARTIN.

Notes historiques sur la Vie de Molière, par M. A. Bazin[1]). — Un intérêt particulier s’attache à cette nouvelle édition d’un excellent travail de critique littéraire qui, lors de son apparition dans cette Revue[2], fut justement regardé comme la pierre de touche à laquelle il fallait soumettre toutes les précédentes biographies de Molière. M. Bazin avait, dans cette curieuse étude, laissé, comme il le disait lui-même, son dernier mot sur l’auteur du Misanthrope : c’est pour ainsi dire l’adieu d’un homme de goût aux lettres, qui avaient fait le charme de sa vie. En faisant marcher de front la critique littéraire et la biographie, en retraçant avec la sympathie qu’éveillent les belles choses l’historique de chaque comédie, M. Bazin a fait revivre dans sa vie intime, dans sa gloire et dans ses douleurs, cet étonnant écrivain, ce contemplateur, comme le nommait Boileau,

  1. Paris, Techener, 1831, in-18.
  2. Voyez les livraisons du 13 juillet 1847 et du 15 janvier 1848.