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livre charmant que la nature tient sans cesse ouvert sous les regards qui savent la comprendre et l’aimer. Elle a été tentée par l’aimable figure de Sedaine, chez qui le naturel fait tout pardonner, et le gracieux rôle de Victorine a achevé de la séduire. Ce que nous blâmerons dans la nouvelle pièce de Mme Sand, c’est qu’à force d’éviter les complications et les effets, de chercher dans l’analyse seule d’un sentiment, dans l’étude attentive et subtile d’un repli du cœur, cet élément de curiosité et de succès que le drame demandait jadis au fracas des péripéties, l’auteur finit par nous promener dans le vide, et le spectateur somnolent a besoin d’un effort pour saisir ce tissu léger, amoindri, où rien n’arrête plus les yeux ni la main. La pièce de Sedaine n’est pas, que nous sachions, surchargée d’événcmens ; pourtant l’intérêt s’y soutient et va croissant jusqu’à la fin, personnifié, pour ainsi dire, dans cette charmante Victorine qui trahit, dans les dernières scènes, une passion si dramatique et si vraie. Chez Mme Sand, il faut bien l’avouer, Victorine a perdu quelque peu de sa grâce et de sa fraîcheur. Tout se réduit à savoir si Alexis Yanderk l’aime véritablement ; en conscience, ce n’est pas assez pour trois actes, malgré l’intervention de Fulgence, nouveau personnage créé par Mme Sand, et qui, dans sa rivalité avec Alexis Yanderk, joue un rôle bizarre, équivoque, presque odieux dans les premiers actes, presque touchant dans le dernier.

Tout cela, on le voit, n’est pas de nature à donner à un drame beaucoup de mouvement et de vie, et il faut au théâtre d’autres conditions pour passionner la foule. N’importe : il y a dans le Mariage de Victorine des qualités d’analyse et de style qu’il serait injuste de méconnaître, et qui reposent des vulgarités bruyantes de la plupart de nos auteurs : ce qu’il faut aussi y louer sans réserve, et surtout sans témoigner une surprise qui aurait trop l’air d’une malice, c’est le parfum d’honnêteté qu’on respire dans toute la pièce, l’irréprochable pureté de l’ensemble, et surtout le tact exquis avec lequel Mme Sand s’est préservée des déclamations sur les inégalités sociales, un peu prodiguées par le bon Sedaine. Mme Sand a deviné que ce qui faisait partie, en 1765, du bagage des gens d’esprit pouvait bien, en 1851, avoir passé dans le camp contraire, et elle a résisté a la tentation. Sachons lui en tenir compte. Espérons que ce retour d’un esprit éminent aura des imitateurs, et que l’on comprendra mieux chaque jour le vrai rôle de l’écrivain aux époques agitées : éviter tout ce qui irrite et divise ; rechercher tout ce qui unit et console. Ce qui fait le mérite des beaux-arts, et particulièrement de la musique, c’est qu’ils échappent facilement aux perturbations accidentelles de la politique, et qu’ils portent avec eux une sérénité inaltérable. Écoutez une symphonie de Beethoven, la Symphonie pastorale par exemple, et, quelque préoccupé que soit votre esprit, il sera bientôt subjugué par l’inspiration du maître suprême qui a eu la puissance de réaliser ce tableau magnifique des vicissitudes de la nature. Tel n’est pas, sans doute, l’avantage de la musique dramatique, dont le but essentiel est de se mêler à nos passions pour en exprimer tour à tour le calme et l’agitation. Toutefois l’objet de la musique dramatique, aussi bien que celui de la musique instrumentale, est de traduire les sentimens éternels de l’âme humaine et de nous soustraire aux tristesses des faits contemporains. Le troisième théâtre lyrique, dont l’existence est encore si précaire, a failli avoir une bonne fortune. M. Félicien David s’est décidé à composer un opéra